18 mai
Lu: "Dans la vallée des larmes" de Patrick Autréaux (Gallimard).
A trente-cinq ans, le narrateur découvre qu'il est atteint d'un cancer. "Je n'osais pas croire que quelque chose me dépeçait de l'intérieur", dit-il, et c'est tout ce qu'on n'a pas envie de lire en ce moment! Depuis "Mars" de Fritz Zorn, paru en 1977 en Allemagne, chronique d'une mort annoncée et déclaration de guerre totale aux siens, jusqu'à la pièce où l'Anglaise Sarah Kane décrit son suicide et son agonie, c'est devenu un genre, à mi-chemin entre autobiographie et nihilisme, à la pointe de l'autofiction.
A priori je ne suis pas chaud, je regimbe, je récalcitre. Comment éviter la complaisance narcissique envers soi, le voyeurisme morbide, la grimace effarée, l'effroi qui vous paralyse et qui vous glace? Comment donner une forme littéraire à l'extrême onction? Je meurs, regardez-moi... D'emblée, pourtant, Patrick Autréaux invente des mots vrais, des mots justes, comme s'il était révélé à lui-même grâce à la maladie; il trouve la bonne distance, à la fois intime et critique, envers soi; il évite le principal écueil: l'intimidation, le pathos, (sauf peut-être dans le titre), les bons sentiments.
"On reste tout de même en marge de soi au moment de sa naissance. Surtout si on découvre en même temps qu'on est condamné". Une naissance, vraiment? Oui, brutale, assumée parce que seconde. Dès lors, l'auteur s'expose au "vain martèlement des pourquoi". Relisant Primo Levi, il lui semble entendre "la voix de cet homme" pour la première fois, comme si la maladie l'avait projeté dans un des cercles de l'enfer. "De quoi avais-je fait l'expérience? Je suis bien en peine de le dire. La peur, la volonté, tout désir était suspendus; je subissais un vide qui m'emplissait totalement. Puisque je n'étais pas mort, je devais appartenir à la communauté des deux fois nés". Un nouvel adepte, un prosélyte, ne parlerait pas autrement.
Plus de rêves, plus d'amis, plus de livres. L'auteur semble décrire une expérience mystique ou exotique, proche de l'extase, comme si le mot vide et le mot plein devenaient synonymes et interchangeables. Patrick Autréaux a longtemps cru qu'il ne lui restait que six mois à vivre. Panique. "C'est une panique pure, de cette pureté sans finalité, comme celle des minéraux qui ont tout tué en eux pour être transparents, inaltérables. Panique qui fait de soi un nu si parfait que la compassion, la complaisance, le besoin d'affection ont disparu. On pourrait être mis en joue, on n'essaierait même pas de se sauver".
Il y a, étrangement, une virginité du mal qui le ronge. "Pureté", c'est le mot - inouï, abhorré, scandaleux, qui s'impose à lui. Médecin lui-même, il s'examine, il épie ses propre défaillances sans rompre avec la logique. "Etre médecin donne l'avantage de ne pas craindre, le plus souvent, ce qui pourrait inquiéter. On est moins sensible aux petites peurs qu'engendrent les rites hospitaliers; on voit mieux certains détails qui rassurent, même si on est terrorisé par ce que les autres ignorent ou n'imaginent pas; on connaît si bien le monde des soins que le mystère dont il témoigne peut se manifester avec une redoutable pureté".
Quelque chose monte peu à peu d'une "profondeur qu'on craint et qu'on écoute". Tout au long de ce livre bref et palpitant, j'ai repensé à une phrase du peintre Yves Klein: "Je n'ai pas aimé le néant et c'est ainsi que j'ai fait connaissance avec le vide, le vide profane, la profondeur bleue..."
Vous lire Frédéric Ferney est un enchantement.
Merci de nous transmettre vos vibrations.
Rédigé par : Ambre | 18 mai 2009 à 10:07
Oui, vous donnez envie de lire mais là je viens de dévorer un livre très bien sur les bouffées délirantes et la schizophrénie de Alain Bottero, donc, si vous permettez, je vais attendre un petit peu pour me mettre au cancer, d'autant que je suis entourée de gens malades dans mon centre de réinsertion, mais bon avec les ateliers de la mgen, les ateliers du cattp et mon boulot bénévole de documentaliste, je suis tellement occupée que je ne me sens plus malade, sauf l'incapacité à ranger chez moi...
Rédigé par : ororea | 18 mai 2009 à 18:04
Quand le cancer entre en littérature, le temps de lecture est suspendu.
Traitements de chocs, livres urgents ?
Bouleversée par"L'enfant Eternel" de Philippe Forest, ce beau livre, écrit sans fioritures ni emphase,( comme si l'objet n'était que la littérature), je ne sais plus me perdre, par lâcheté sans doute, dans les récits tétanisants.
Rédigé par : Anne B | 19 mai 2009 à 00:37
Le titre (effectivement pathétique...) n'est pas forcément du choix de l'auteur !
Rédigé par : Elizabeth | 19 mai 2009 à 09:13
@ Elizabeth : le titre n'est en rien pathétique, je pense, il est éminemment biblique. En outre, je crois me souvenir que le psaume concerné se termine "bien".
Rédigé par : Chr. Borhen | 19 mai 2009 à 09:54
@Chr. Borhen : le dire "pathétique" est éminemment subjectif... Je n'ai pas pu trouver la citation, toutefois. Je vois bien la "vallée de l'ombre de la mort" dans le Psaume 23 mais pas de vallée des larmes...
Rédigé par : Elizabeth | 20 mai 2009 à 11:24
@ Elzabeth : dont acte. Pour la "vallée des larmes", lorgner du côté du psaume 84.
Rédigé par : Chr. Borhen | 21 mai 2009 à 09:47
Bonjour
je suis médecin, en exercice, et aujourd'hui dans le quotidien du médecin, je découvre article sur le livre : la vallée des larmes.
patrick autreaux psychiatre des hôpitaux, touché par le cancer, vit le calvaire ordinaire de ces gens-là, le médecin de l'âme, passe de l'autre côté du miroir, il découvre la mort et la condition de malade. Il cite les mystiques, et surtout MARS de fritz Zorn, qui a été longtemps un de mes livres de chevet, mars n'est pas un livre sur la mort, mais le plus bouleversant livre sur la dépression, ou contrairement à ce que ce que dit votre article, il affirme que son cancer est dû aux larmes qui n'a pas pu verser.
La mort à soi-même et la nouvelle naissance, c'est ce que je vis aussi depuis trois ans, moi ce n'est pas le cancer l'instigateur,mais l'expérience dépressive, et la psychanalyse.
J'achèterai sûrement ce livre et je le lirai, je serais certainement extrêmement critique qu'un psychiatre qui comme beaucoup de ses confrères ne connaît pas ou ne connaissaient pas la souffrance morale, la découvre enfin, pour naître à soi-même et pour devenir pour citer Marie balmary, un être parlant.
Moi aussi j'ai écrit un livre qui ne sera pas publié, il faudrait que je le reprenne, et moi aussi j'ai écrit des poèmes portés par la douleur.
Le chemin des épreuves et la voie des abîmes est la condition nécessaire et parfois non suffisante, pour accoucher dans la douleur, de celui qui parle à l'intérieur de vous,du JE.
Moi je soignais les corps et j'ignorais qu'il savait une âme, maintenant je les soigne corps et âme.
Je vous recommande une belle lecture, sur les sentiments océaniques et l'appel du large ce sont des sentiments mystiques, dans le livre de Christine Millot psychanalyste, « abîmes ordinaires »
quant à moi j'écris modestement sur un blog ou je me déverse, peut-être un jour lorsque mon chemin sera suffisamment avancé aurais-je courage et la témérité de reprendre mon livre.
http://zorg-f.fr/
Rédigé par : zorg-f | 28 août 2009 à 19:29