18 avril
J'ai longtemps jugé Gérard Genette, et je lui en demande pardon, comme un effroyable raseur, enclin à fabriquer de triste figures et des doctrines en plusieurs tomes, oscillant entre la diégèse et la métalepse, la belle affaire, et me faisant me sentir comme un sanglier dans une pharmacie, avec l'envie de briser les étagères et de renverser toutes ces fioles en espérant qu'elles répandent un peu de liqueur. Un professeur, presque un magistrat de la textualité, qui n'aurait pas su jeter sa canne et son décodeur, pas su évoluer vers un égotisme ondoyant et sceptique, à la manière de Roland Barthes: mélancolique, froissé, charmeur, risible, douloureux.
Je m'aperçois qu'ils ne sont pas si éloignés, même s'ils restent très différents - il y a un fonds de gaieté chez Genette. Je l'ai finalement découvert, en 2006, dans son "Barbadrac", un abécédaire à la Sterne, profond et loufoque, enfantin et intime, et qui m'a accompagné plusieurs nuits, chaque entrée de A à Z formant un maillon, un chapitre, dans un roman comique. ("Bardadrac" étant le mot-chimère inventé jadis par une de ses amies pour nommer le fouillis de son grand sac à main). Et voici que paraît la suite, la "séquelle" diraient les Anglais, de "Barbadrac", sous le titre de "Codicille" (Seuil).
Aussitôt le charme réopère sans se répéter: c'est toujours aussi autobiographique (mais peut-être juge-t-il ce mot ridicule), intime mais voilé, sans fausse pudeur, profondément amical envers l'humain, sans complaisance envers soi, plein de saveurs mûries et intactes qui nous griffent au nez. Il a un côté vieux chat, (d'ailleurs, la genette, c'est une bestiole avec de petits crocs acérés, genre civette), d'un fil tirant avec sa patte alerte toute la pelote. C'est ainsi, en écrivant des scolies, des retours, des commentaires sur "Barbadrac" que Genette s'est mis, d'abord à son insu, à écrire "Codicille", dans la même veine.
Le fin mot, c'est "zou!" où l'auteur constate que "le désordre alphabétique a ses contraintes" et qu'"il faut bien de temps en temps, faire une fin". Genette incarne une forme d'ironie douce, je ne dirais pas une tendresse car il reste rugueux, chaud et froid comme la pierre, sous son sourire baroque. Avec lui, on dirait qu'à 80 ans, tout commence, en même temps tout finit, il est le vieil homme , il est l'enfant, mais qu'est-ce qu'il s'en fout! Tant qu'il a les mots pour le sentir, et pour le ressentir encore, en le disant...
On s'en serait douté, il déplore une grosse lacune du français: pas d'équivalent au nonsense anglais dans notre langue. Genette fait partie de ces gens qui lisent Lewis Carroll comme un auteur réaliste. Il adore Groucho Marx, comme s'il était un double de Wittgenstein, et il différencie dès la première note le son de Coltrane de celui de Sonny Rollins, de Dexter Gordon ou de Joe Henderson, sans aucun snobisme d'ailleurs, avec un goût précis.
Enfin, c'est un petit Montaigne - Montaigne avec qui il a beaucoup joué dans ses livres, avec la tête vaste comme une bibliothèque, et qui lui offre un mot pour classer ce livre dans un genre: c'est un "allongeail".
Avec pêle-mêle des oublis et des faux souvenirs, des sensations infimes, des repentirs, et de fraîches trouvailles.
En vous lisant me vient à l'œil cette "Leçon" de Hermann Hesse (Ed.C.Lévy oct.2000 "Eloge de la vieillesse") je copie :
"Cher enfant, ce que les hommes profèrent
Se révèle toujours plus ou moins faux:
Toutes proportions gardées,c'est encore au berceau
Qu'on est le plus honnête, puis bien plus tard sous terre.
Alors nous nous couchons près de nos pères,
Enfin sages, l'âme emplie d'une froide clarté.
Nos os dénudés martèlent la vérité;
Plus d'un voudrait mentir et vivre comme hier!"
Rédigé par : Sylvaine V. | 18 avril 2009 à 11:03
Moi je voudrais être enterrée à côté de FF : il prend presque pas de place, ça devrait caser. On ira au père Lachaise...Et on mettra un truc rigolo comme épitaphe.
(Idole d'Ororea c'est une ascèse)
Rédigé par : ororea | 18 avril 2009 à 13:27
@ ororea : le sujet du jour, à savoir GG, ne vous intéresse pas ? (Sourire)
Rédigé par : Christophe Borhen | 18 avril 2009 à 14:01
Si, si, moi j'en ai collé du Genette dans mes dissert, mais rien que homodiégétique et hétérodiégétique, on se refait pas, j'étais morte de rire... Moi je suis amoureuse du prof et je fous le bordel dans le fond de la classe (il a qu'à me virer si je suis hors sujet)
Rédigé par : ororea | 18 avril 2009 à 17:59
Chère Ororea,
Ouf! vous ne boudez plus. Dites-moi, il n'y a pas le feu pour le Père Lachaise! Comme je lance ma web-télé littéraire fin mai, ça m'ennuierait de mourir avant et de ne plus avoir vos commentaires.
F.F.
Rédigé par : Frederic ferney | 18 avril 2009 à 19:00
Wééééééééééééééééééééé, il me recause! Et la web télé ce sera sur tout internet ou sur free? (non, pasque moi chuis très bien chez numéricâble)
PS : si vous vous mettez tout en noir mardi, je reboude (le celte a un caractère de cochon)
Rédigé par : ororea | 18 avril 2009 à 19:37
J'ai toujours pensé que GG était subtile, il m'a appris à lire lui et Ludovic Janvier, et quand j'utilisais ses théories, c'était par souci de pister le narrateur dans tous ses états, et c'était de la poésie pure, savoir qui est là, qui n'est pas dans le champ, qui va là, qui affleure à la surface, qui se cache, qui envahit le paysage, par la grâce d'un pronom personnel, d'un embrayeur de discours, d'un verre de trop sur la table, d'un son de verre que l'homme invisible dépose.
Ce que la littérature peut faire, GG l'a identifié, épinglé comme un papillon.
http://anthropia.blogg.org
Rédigé par : Anthropia | 18 avril 2009 à 20:55
"Bardadrac", c'est plein d'esprit et d'humour, un autre Genette!
Rédigé par : Anne B | 18 avril 2009 à 23:30
Et sinon, Ephèfe, vous aimez les sushis? (il a pas une tête à aimer les sushis, je sens que je vais me prendre un rateau...)
Rédigé par : ororea | 19 avril 2009 à 16:16
Bon ben c'est pas grave j'ai mangé toute seule. Ah oui me souviens d'une phrase de FF dans un article du Figaro, quelque chose comme , cette pièce est triste comme un sushi sans sauce...Pas un gros fan des sushis, faut croire...
Rédigé par : ororea | 19 avril 2009 à 23:00
Minuit quinze : on boude?
J'avais dessiné sur le sable
Son doux visage qui me souriait
Puis il a plu sur cette plage
Dans cet orage, il a disparu
Et j'ai crié, crié, FF, pour qu'il revienne
Et j'ai pleuré, pleuré, oh! j'avais trop de peine
Je me suis assis près de son âme
Mais le beau quidam s'était enfui
Je l'ai cherché sans plus y croire
Et sans un espoir, pour me guider
Et j'ai crié, crié, FF, pour qu'il revienne
Et j'ai pleuré, pleuré, oh! j'avais trop de peine
Je n'ai gardé que ce doux visage
Comme une épave sur le sable mouillé
Et j'ai crié, crié, FF, pour qu'il revienne
Et j'ai pleuré, pleuré, oh! j'avais trop de peine
Et j'ai crié, crié, FF, pour qu'il revienne
Et j'ai pleuré, pleuré, oh! j'avais trop de peine...
Rédigé par : ororea | 20 avril 2009 à 00:24
Ah non pas avec Adamo... mais un petit faux castrat
http://www.dailymotion.com/video/x5pzu4_farinelli-le-castra-interprete-par_music
Rédigé par : Sylvaine | 20 avril 2009 à 13:10
C'est pas Adamo, c'est Christophe.;-)
Toujours pas là?
(sur l'air de Manureva)
Captain Captain FF
Où es tu Captain Captain FF
Bateau fantôme toi qui rêvas
Des îles et qui jamais n'arrivas
Là-bas
Où es-tu Captain Captain FF ?
Portée disparu Captain FF
Des jours et des jours tu dérivas
Mais jamais jamais tu n'arrivas
Là-bas
As-tu abordé les côtes de Jamaïca
Oh ! héroïque Captain FF
Es-tu sur les récifs de Santiago de Cuba
Où es-tu Captain FF
Dans les glaces de l'Alaska
A la dérive Captain FF
Là-bas
As-tu aperçu les lumières de Nouméa
Oh ! héroïque Captain FF
Aurais-tu sombré au large de Bora Bora
Où es-tu Captain FF
Dans les glaces de l'Alaska
Où es-tu Captain Captain FF
Portée disparu Captain FF
Des jours et des jours tu dérivas
Mais jamais jamais tu n'arrivas
Là-bas
Rédigé par : ororea | 20 avril 2009 à 17:42
Je l'ai enterré au père Lachaise, coulé à Bora Bora.
Un fan, c'est comme un tamagoshi, faut s'en occuper, sinon il dépérit.
Pendant ce temps là, il paufine ses alexandrins :
J'donn'rai pas un kopek, pour ton bec dans mon bec
etc ;-)
(Idole d'ororea, c'est une ascèse)
Rédigé par : ororea | 20 avril 2009 à 20:29
Je ne sais pas pourquoi, Frédéric, mais je pense très fort à notre Barthes qui, hèlas, n'aura pas eu (et pris) le temps de commettre son grand roman.
Rédigé par : Christophe Borhen | 20 avril 2009 à 20:51
"Si j'étais écrivain et mort, comme j'aimerais que ma vie se réduisit, par les soins d'un biographe amical et désinvolte, à quelques détails, à quelques goûts, à quelques inflexions, disons: des "biographèmes"dont la distinction et la mobilité pourraient voyager hors de tout destin et venir, toucher, à la façon des atomes épicuriens, quelque corps futur, promis à la même dispersion; une vie trouée, en somme."
Roland Barthes, (préface à Sade, Fourier, Loyola, 1971)
Rédigé par : Anne B | 20 avril 2009 à 21:23
Et un recueil de poèmes, aussi , s'il vous plait.
(le fan est capricieux)
Rédigé par : ororea | 20 avril 2009 à 21:34
@ Anne B : il est plus que probable que nous fassions bibliothèque commune. Mais chut.
Rédigé par : Christophe Borhen | 21 avril 2009 à 10:15
Christophe, je le pense aussi
Rédigé par : Anne B | 22 avril 2009 à 22:08