17 avril
Par hasard, je relève une pile de livres qui dégringolent, je tombe sur ce texte inouï, "Confession" de Drieu la Rochelle (dans les "Carnets" de L'Herne, extrait du "Cahier Pierre Drieu la Rochelle", n°42, 1982). Oui, je sais, avec Drieu, on n'est pas chez Montaigne, au coin du feu ou dans un champ de vignes; il y a les horreurs que je connais, il y a celles que j'ignore, ça pue, tant pis! je lis, c'est pur, c'est limpide. Surprise.
Comment est-il possible que la haine de soi, cette ivresse-là (et elle est bien pire que la colère), que cet abaissement volontaire, cet enfoncement tragique, puisse offrir un accès à la vérité? Je ne soupçonnais pas non que soit possible un pacte aussi solide entre le narcissisme et le dégoût, sauf bien sûr pour plaisanter ou par pose. Et Drieu ne plaisante pas, ne pose pas, contrairement à son petit copain Malraux, qui sera plus habile au bal masqué des convictions perdues.
Drieu, en littérature, est un enfant égaré, non pas de la Révolution nationale mais de la Révolution tout court - de l'idée, de la force et de l'abîme que ça représente dans l'Histoire - traumatisé de surcroît par la grande dégueulasserie de 1914-18. C'est un fils aggravé de Rousseau, de Benjamin Constant (qui est son presque jumeau au XVIIIe siècle), et bien sûr de Chateaubriand, si épris de la défaite, entiché de ruines et rongé par l'emphase funèbre du temps.
Drieu et Chateaubriand ont en commun un art de méditer en ruminant un peu d'herbe philosophique, un penchant pour l'amer et les bravades (et là, on rejoint la verve et le panache, d'Artagnan et Cyrano); ils sont à la fois draconiens et douillets, fanatiques, vaincus et voulant l'être. Sauf que lui, Drieu, se salit vraiment l'âme jusqu'au trognon, et il assume. La fin de Drieu me fait toujours penser à la mort de Macbeth, mi-stoïcien mi-samouraï, comme une sorte de pastiche misérable et tragique. Un Marc-Aurèle fasciste!
Au fond, son modèle inavoué, c'est peut-être Lord Byron, athlète échevelé, splendide, traversant le Grand Canal à la nage, avec un pistolet dans la bouche, et s'accointant de préférence avec le Mal (Evil!) par instinct aristocratique (pas de différence entre l'ethétique et la morale!). Sauf que Byron s'est battu du bon côté, en Grèce, et pas qu'avec des mots. Fidèle à soi, Drieu, lui, a choisi le pire, il est tombé du mauvais côté de la rébellion, comme la tartine beurrée dans une célèbre blague juive.
Bref, ça commence comme ça: "Il est temps d'écrire", et l'on entend: "il est déjà trop tard!". Nous sommes à l'hiver 1939-40, et d'emblée il écrit "sur ce mode de regret qui est pour moi le seul possible", dit-il, considérant sa vie, tranquillement, "comme du passé". Il se connaît par coeur mais il se contemple comme s'il était devenu étranger à lui-même: "Dès lors, j'étais passé à côté de la chose que je jugeais essentielle qui était d'être une brute capable de tenir tête aux brutes... Dès lors tout ce que je dirai ou ferai n'aurait qu'une valeur relative et comme extérieure à ma personne". Et encore ceci: "J'ai été faible, mais j'ai sans cesse songé à la force", qu'on imagine très bien dans la bouche de l'Aiglon!
Dans ces pages, il ne cesse d'exprimer son obsession de la vie virile, de la prouesse chevaleresque, son horreur de la décadence, sa rancoeur envers un père qui lui a inoculé la peur ("Mon ignoble famille"), son ressentiment envers lui-même. Enfant, il rêve de l'action, petit Achille exilé sous un préau de collège, il se morfond; il aime les cas désespérés, il en est un; il se sent "inférieur", il se décrit comme un athlète à la manque, un warrior parodique, "une petite chiffe délicate". "Je suis un exhortateur mort-né", proclame-t-il. Et il revendique ses crimes réels et rêvés, à sa manière cynique et sentimentale. C'est ça, le problème, comment lui donner l'absolution puisqu'il n'a aucun repentir? Mais dieu, que cette confession est belle!
Le "Journal" de Drieu. C'est l'un des "Je" les plus honnêtes de la littérature française: qu'il sorte de la bouche d'un "scélérat" qui se cache la tête dans la boue et dans l'ordure, et célèbre la vie comme un avortement, c'est incompréhensible!
J'ai été deux ou trois minutes fasciste,dandy et ou alcoolique et c'est vrai j'ai aimé un certain Drieu voire un autre collaborateur, Brasillach, mais je pense qu'à l'époque j'étais Mal armée. Reste quand même un beau film avec Ronet...
http://www.dailymotion.com/video/x243a4_feu-follet_politics
Rédigé par : Sylvaine V. | 17 avril 2009 à 12:52
La haine de l'autre ne s'enracine-t-elle pas souvent dans la haine de soi-même ? Ce peut être une explication à des pensées immondes, à des actes inconcevables, à des rêves abjects. Je dis "explication" mais en rien justification et encore moins excuse...
Rédigé par : Franck Bellucci | 17 avril 2009 à 13:37
Drague, sexe, racisme, fascisme, antisémitisme...bref, l'horreur!
Tous les propos orduriers de Drieu ne seraient autres que les formes perverses d'un profond ressentiment?
Drieu cache une âme de victime, les maux à travers les mots, un mal-être fasciné tout autant que dégoûté par une force dont il est privé. Cette parole de la vitupération est le fruit d'un drame personnel dont le sentiment de persécution en est le poison;Un nouveau prophète du malheur?
C'est vrai, "ça pue, tant pis, c'est pur, c'est limpide". L'écrivain a mis sa psyché en avant, et a ainsi révélé toutes ses fragilités.
Vous semblez, Frédéric, avoir une facilité déconcertante pour parler des "ordures" de la littérature, des cas littéraires. Sous l'emprise de vos phrases, ces "scélérats" deviennent "beaux".
Pour la petite anecdote, propos injurieux, à mon égard, lors d'un voyage en train. Mon voisin, visiblement, ne supportait pas ma lecture, Drieu, dans un lieu public-roulant ."L'hitler avorton" (et autres bagatelles) que je suis , d'après lui, a gardé son calme, pas un mot, pas un regard. Quand le contrôleur est passé pour me demander "si tout allait" bien, j'ai répondu, oui, moi je vais bien, je lis. C'est mon voisin qui a changé de place.(mais bon à l'intérieur j'avais les "pétoches"). Un jour drague à cause de "Vie Secrète" de P. Guignard (on se demande bien pourquoi), mais
c'est tout de même plus agréable !
Il est déjà interdit de fumer,alors, si en plus on ne peut plus lire!
Rédigé par : Anne B | 17 avril 2009 à 17:28
" Drieu, en littérature, est un enfant égaré, non pas de la Révolution nationale mais de la Révolution tout court - de l'idée, de la force et de l'abîme que ça représente dans l'Histoire - traumatisé de surcroît par la grande dégueulasserie de 1914-18. "
Peut-être.
Comme disait mon grand-père, les révolutions ont toujours lieu dans les idées, souvent lieu dans les rues, mais jamais lieu dans les assiettes... Mais bon...
Rédigé par : Christophe Borhen | 17 avril 2009 à 22:02