15 mars
Lu: "Les Généalogies" de Margo Glantz, traduit de l'espagnol (Mexique) par Françoise Griboul (Editions Folies d'Encre).
"Moi par exemple, je descends de la Genèse, non par orgueil mais par nécessité", annonce joliment l'auteur dans le prologue de son livre. Précisons: née en 1930, Margo Glantz est mexicaine par la langue et par la naissance, russe ou plutôt ukrainienne par l'histoire, juive par le nom. "Je n'ai étudié ni l'hébreu ni la Bible ni le talmud, écrit-elle comme pour s'excuser, je ne suis pas née en Russie, je ne suis pas un garçon, je ne suis ni précieuse ni biblique et pourtant..."
Et pourtant, devant la photo d'un cordonnier de Varsovie, d'un tailleur de Wolonin ou d'un porteur d'eau du Dniepr, il lui semble reconnaître ses oncles, qui sont devenus des commerçants prospères à Philadelphie, et qui ont troqué le bonnet et la barbe en pointe("propice aux persécutions"), contre des vêtements de chez Macy's. Son beau-frère Abel a beau lui dire qu'elle n'est pas juive, elle a beau elle-même se proclamer étrangère aux rites du judaïsme, on comprend vite que tout est beaucoup plus compliqué: "Tout cela donc m'appartient et ne m'appartient pas, j'ai l'air d'une Juive et je n'en ai pas l'air. C'est pourquoi j'écris ces - mes - généalogies".
Une autobiographie familiale? Plutôt des fragments d'identité, des bouffées de mémoire héritée, confuse, contradictoire. Selon son père, les parents de sa mère vendaient des harengs... mais non, c'étaient des carpes d'eau douce. Comment s'appelle-t-il, ce père, déjà? Est-ce Jacob Osherovitch, Jacobo, Yankel, Yasha ou Ben Osher? Est-il né à Novo Vitebsk ou à Kremenchug au bord du Dniepr? A-t-il vraiment écrit un poème épique sur Christophe Colomb en yiddish? "Quelle différence y a-t-il entre entre fut et était...? Il y a bien une différence n'est-ce pas? Parce qu'on me dit qu'il n'y en a pas, mais oui...", soupire sa mère.
Tout est mouvant dans l'histoire et dans la géographie, tout est incertain, fallacieux, lacunaire. "Les Juifs ne consignent pas leur histoire, ils n'ont pas le sens de la chronologie. C'est comme s'ils savaient de manière instinctive que le temps et l'espace sont une simple illusion", écrivait Isaac Bashevis Singer. "Nous avons oublié il y a longtemps le rituel selon lequel la maison de de notre vie est construite", semble répondre en écho Walter Benjamin. Et pourtant tout se raconte, tout se transmet, de générations en générations. Tout est vrai, tout recommence. C'est au Mexique que Jacobo et Lucinka Glantz ont appris le yiddish, paradoxalement, comme si c'était une façon de mieux se ressouvenir qu'ils sont russes, comme si la terre des pogroms était sanctifié par l'exil!
On ne peut reposer ce livre sans s'interroger sur un mot très actuel, très obsédant: l'identité. C'est le fait d'être le même, on est d'accord. Mais le même que quoi? L'identité qui est d'abord une relation de soi à soi, un narcissisme, est un concept à la fois nécessaire et vide. On serait identique à soi et à rien d'autre?. "Les Généalogies" de la reine Margo prouvent tout le contraire. La neige des steppes résiste au soleil de Coyoacan. Et quand l'auteur chante "Mazel tov", on entend "Que viva Mexico!"
P.S. "Folies d'Encre", c'est la librairie la plus animée de Montreuil. C'est aussi une maison d'édition qui publie une dizaine de titres par an, principalement des romans étrangers, à l'instigation de Jean-Marie Ozanne. Cet infatigable lecteur a la barbe rouge et l'oeil qui clignote: je me souviens que, quand il était chroniqueur sur "Le Bateau-Livre", il était imposible à arrêter.
Je ne sais plus qui a dit que c'est de l'identité qu'est née la différence ,
Rédigé par : Anne B | 15 mars 2009 à 00:50
Essayé à plusieurs reprises d'envoyer un commentaire à propos du livre de David Mitchell, hier, mais échec, alors je récidive...
"Les filles ça peut aussi les émouvoir de regarder un garçon grandir", j'aurais aimé en effet, me glisser dans la peau d'un garçon pour quelques temps, pour quelques vies...
L'adolescence est un séisme permanent, une métamorphose, une liberté en marche, les écrivains expriment "ce grandir" comme une question de fond à la fois simple et redoutable, l'adolescent lutte et se malmène, se choisit, on le sait tout cela, mais comment l'écriture réussit-elle à saisir sur le vif, les corps et les âmes qui se transforment se façonnent, si l'on est du sexe opposé ?
(Ce n'est pas le cas de David Mitchell avec Jason), mais on a l'impression que les seules personnes capables de nous entraîner dans l'angoissante aventure de ce temps si particulier, sont les écrivains, faisant voler en éclats les idées reçues.
Je m'éloigne du sujet, repensant à cette phrase de Simone de Beauvoir " J'accepte la grande aventure d'être moi" (cahiers de jeunesse; passionnant), cette phrase, un homme aurait pu l'écrire, sauf que c'est celle d'une femme qui veut conquérir l'autonomie. La jeune femme exploite "des chances",refuse des limites, elle va devenir le Castor.
Comment devenir soi ?
Comment vivre le monde ?
P.S Journée épuisante au salon du livre, petite pause pour l'émission "Jeu d'épreuves", mais vous me tourniez le dos Frédéric, c'est dommage !
Rédigé par : Anne B | 15 mars 2009 à 01:22
Bojour,
...
Je "suis" Anne de près... en ce qui concerne Hier, l'Adolescence et le Mexique Aujourd'hui.
Vous dites "Mexique"; me revient en tête ce joli petit roman de Laura Kasischke, une écriture simplement belle.
Je passais juste faire un clin d'oeil à ce livre.
[Le printemps revient. La poésie avec. Où êtes-vous GMC ?]
Je n'irai pas au Salon du livre. Trop commercial à mon goût, trop de monde, trop... et toutes ces identités en mal de reconnaissance... trop.
http://www.dailymotion.com/video/x2pv6c_alain-bashung-ma-petite-entreprise
;o)
Rédigé par : alistrid | 15 mars 2009 à 08:18
"La couronne verte" Laura Kasischke
Rédigé par : alistrid | 15 mars 2009 à 08:19
Dès le premier paragraphe de votre chronique du livre de Margo Glanz, cher Frédéric Ferney, la musique que semble diffuser ce livre est l’écho de celle que j’entends avec Eddy L.Harris et son livre « Harlem » (éd.Liana Levi). Comme dans son autre livre autobiographique centré sur la figure du père, « Jupiter et moi », le paradoxe d’appartenir et de se détacher en même temps d’une communauté unifiée par la persécution est posé. Dans « Harlem », le récit se déroule comme une fugue avec chants et contrechants, thèmes toujours inachevés, repris, renversés, redressés, pour essayer d’épuiser le sujet de l’identité. « Tout n’était que confusion dans ma tête, là, à l’angle de la 135ème Rue et de la Septième Avenue. J’eus soudain conscience de ne pas être d’ici. Je ne savais soudainement plus si je voulais me trouver à Harlem, pourquoi j’étais venu, ni qui j’étais.
C’était peut-être cela que j’étais venu découvrir. Faire mon temps ici était certainement une tentative de répondre à la question du « Qui suis-je ? ». »
La quête est celle d’une « réconciliation » recherchée grâce à un séjour, voulu comme un retour aux sources, à Harlem, après la 110ème Rue, dans l’axe de la 125ème. Cette quête passe par des aller-retour entre le présent et le passé de Harlem, du narrateur aussi. Magnifique exercice de lucidité, qui dépasse un cas particulier et supplante tous les sectarismes pour instaurer chez le lecteur une réflexion tonique. Comme semble-t-il dans « Les Généalogies » de la reine Margo, dont vous parlez de façon si attrayante.
Dans son domaine, Eddy Harris est aussi dans la lignée de Percival Everett avec « L’Effacement », ou bien de Philip Roth avec « La Tâche », et aussi Boris Vian avec « Les morts ont tous la même peau » si j’ose encore, oui, je prends le risque.
Rédigé par : Critiquator | 15 mars 2009 à 09:16
"Harlem" est la somme d'expériences vécues par l'auteur, à la recherche de son identité, Harris procède par touches, par le moyen d'histoires récurrentes , qui en définitive, ont du mal à "épuiser" le sujet de l'identité. C'est toute la construction du "moi" qui est en cause, la diversité du "je" malheureux, toujours en quête d'avenir mais revisitant sans cesse son passé, néanmoins cette construction de l'identité, je l'ai ressentie plus violemment en lisant "La Tâche", peut-être à cause de l'écriture ?
Un autre livre de Philip Roth sur le même thème est "Parlons Travail", l'écrivain s'efface derrière ses "amis" qu'il interroge (Primo Levi, Aharon Appelfeld, Milan Kundera, Ivan Klima, Saul Bellow, Mary Mc Carthy...), très intéressant, passionnant même, mais ça c'est personnel, j'aime beaucoup Ph. Roth. Et dans un autre style Leopardi, dans sa correspondance dévoile toute la douleur d'être soi.
Rédigé par : Anne B | 15 mars 2009 à 11:50
Les Disparus de Mendelsohn, pas mal non plus.
http://anthropia.blogg.org
Rédigé par : Anthropia | 15 mars 2009 à 15:05
Je prends bonne note des autres oeuvres et auteurs que vous signalez Anna B. La différence de genre de l'autobiographie au roman (car "La Tâche" n'a rien d'autobiographique) implique aussi une différence d'approche et de type d'intérêt, et dans le registre autobiographique, les constructions de Eddy L. Harris valent le détour. En attendant "Les Généalogies" de Margo Glanz que l'actualité du Salon et F.Ferney proposent.
Rédigé par : Critiquator | 15 mars 2009 à 16:11
Critiquator, encore un livre qui me vient à l'esprit et que je lis actuellement, le dernier "né" de Alain Fleischer "Moi, Sàndor F.", je ne peux pas en parler davantage car je n'en suis qu'au commencement. Je cite Jean-Luc Moreau qui dirige la collection Alter-Ego (Fayard) :
"Grâce à un procédé narratif original, parvenant à confondre les deux Sàndor en un seul, Alain Fleischer nous offre là un des romans les plus troublants jamais écrits sur le double mystère de l'identité et de la transmission. Moi Sàndor F. devrait aussi rester comme un maître livre de cette littérature d'après les camps, que Jean Cayrol voulait "lazaréenne" ou de résurrection".
Je vous cite également ces quelques phrases de la première page :
"Moi, Sàndor F.je n'ai pas connu celui dont je vais écrire la vie, car il est mort avant que j'aie pu le rencontrer et, même si cette rencontre avait eu lieu, elle se serait effectuée dans les tout premiers mois de mon existence, un âge avant la parole et même avant la conscience d'être en vie et qu'un autre peut mourir."
(Je ne vous le cache pas, j'admire Alain Fleischer.)
Encore un peu de temps, et je trouverais l'occasion de lire "Les Généalogies" de Margo Glantz.
Rédigé par : Anne B | 15 mars 2009 à 17:41
La liste s'allonge et tant mieux car c'est ainsi que l'occasion fait le larron, occasion fournie par le blog de F.Ferney et vous-même , Anna B, merci .
Rédigé par : Critiquator | 15 mars 2009 à 20:10
"P.S Journée épuisante au salon du livre, petite pause pour l'émission "Jeu d'épreuves", mais vous me tourniez le dos Frédéric, c'est dommage !"
Ah bah c'est connu, fan de FF c'est une ascèse...Moi j'attends d'être guérie pour aller le voir...
Rédigé par : ororea | 15 mars 2009 à 21:12