24 février
LU: "La reine des lectrices" d'Alan BENNETT (Denoël).
Tout Buckingham Palace est en émoi. Quoi, encore? Les corgies de la reine ont été empoisonnés à la coke? Le Prince Charles a fait son coming out? Il y avait une limace dans la marmelade du breakfast? Non, on a découvert que la reine Elizabeth s'adonnait à un vice assez inhabituel à la cour: la lecture. Comment ça? Oui, elle a développé un goût pour les livres, tous les livres. Une dame si comme il faut, oh dear! c'est insensé!
A l'époque de Jane Austen, on se serait alarmé: on savait alors que les activités de plein air sont toujours préférables à la littérature, qui abîme les yeux et met d'étranges pensées dans le coeur des filles. Là, non, on a rien vu venir. D'ailleurs, au début, personne, pas même le Daily Mirror, ne s'est soucié de cette curiosité bien compréhensible (mais longtemps dominée) qui a d'abord incité la souveraine à ouvrir les ouvrages des auteurs qu'elle avait décorés ou avec qui elle avait dîné. Mais voilà: elle y a pris goût! Ces yeux cernés, cet air distrait et rêveur, ces crises nerveuses quand son mari cachait ses lunettes sous un coussin, tout de même, cela aurait dû alerter son entourage, son médecin. Non, rien, quelle affreuse solitude est la sienne!
Aujourd'hui, il est trop tard, le mal est profond, incurable. Car Elizabeth ne lit pas, elle dévore. Elle néglige tous les devoirs de sa charge, harcèle ses proches, interroge Nicolas Sarkozy sur la sex life de Jean Genet au cours d'un dîner officiel. Gêné, notre président: il aurait préféré la renseigner sur Beckham ou Rachida. Il paraît qu'on écrit aussi des livres sur ces sujets... Les frasques des enfants royaux étaient certes des entorses à la moralité discrète et boutonnée du palais, mais là, on passe les bornes: il s'agit d'une déviance - le mot est désormais lâché - qui met en péril sa santé et celle du royaume, sans parler de la panique dans le protocole. Elle lit même jusqu'à la fin, les romans de Henry James, note Bennett, c'est dire!
Ce qu'elle découvre, à l'âge d'être (arrière)-grand-mère, ce sont des idées, pire des sentiments, qu'elle n'avait jamais éprouvés auparavant, même quand le vieux Churchill lui chatouillait la nuque avec ses médailles. Elle se sent même politiquement embarrassée envers sa femme de chambre qui ne lit que Biba. Aussi le pays s'inquiète. Quoi de plus dangereux? Quoi de plus démocratique! Les vrais lecteurs ne sont-ils pas des fanatiques, prêts à partager leur déplorable passion avec le premier venu? Regardez tous ces blogs d'addicts qui prolifèrent! Et puis ce n'est pas tout. Conséquence funeste: la reine s'est mise à penser (oui! vous vous rendez compte? En Angleterre!) et elle songe même à écrire. My God!
P.S. Le titre français du livre, "La Reine des Lectrices" est évidemment un peu plat, comparé au titre original choisi par Alan Bennett, "The Uncommon Reader", avec le double sens de: ce qui est rare ou extravagant et ce qui procède de la noblesse. On sait que Bennett a poliment décliné le titre de chevalier que la reine souhaitait lui conférer. L'auteur - génial scénariste de "Prick up your ears" de Stephen Frears ou de "La Folie du Roi Georges", what-what! - s'est visiblement amusé à écrire ce petit livre de 172 pages, non pas dans un style satirique, à la Swift, mais sur le mode de l'enquête ou du reportage documentaire. C'est mieux. On se dit que ça pourrait arriver.
UNCOMMON VICE
Lire sait écrire
En sympathie de l'encre
A l'ambre flottante
Au milieu des coraux
Qui fleurissent la cornée
Ecrire sait lire
Tel un pur ressentir
Peignant des mondes
Sous les froufrous voluptueux
Des chevelures d'océan
Lire s'écrit en promenade
Tandis qu'écrire joue
Aux filles de l'air marin
Quand le vent dessine sur la mer
Les jouissances du feu
Rédigé par : gmc | 24 février 2009 à 08:29
"The Uncommon Reader", en clin d'oeil au "Common Reader" de Virginia Woolf ("The art of a truly democratic age will be—what?)" ?
Rédigé par : Thomas Chaumont | 24 février 2009 à 11:17
Comme l'écrit Th. Chaumont, le clin d'oeil à V.Woolf a disparu. Le titre français fait très "reine des abeilles", mais je le lirai tout de même, pour l'amour de la lecture.
Rédigé par : Tania | 24 février 2009 à 11:34
C’est très d’actualité, ça. Lire, c’est un symptôme, le signe avant-coureur d’une grave maladie, incurable évidemment. On est un peu moins con, on est un peu plus bête, on est taxé d’intellectuel, ce que l’on n’est pas toujours. Je sais de quoi je parle, je ne suis pas une intellectuelle et j’ai lu et relu tout et n’importe quoi, dans le désordre et jusqu’aux notices pharmaceutiques quand il n’y avait plus rien d’autre. Quelle est la différence entre un intellectuel et le quidam qui aime lire ? Et puis d’abord, pourquoi lit-on ? Pour s’instruire, pour réfléchir, se distraire, être un peu moins con, un peu plus bête ? Pour chercher, se chercher, chercher l’autre, autrui ? Ca part d’une solitude, d’une souffrance, d’une fondamentale curiosité, d’une soif inaltérable ? On lit aussi pour fuir, quelquefois on ne se cherche que pour mieux se fuir. Que cherche à fuir Elisabeth ? Je n’ai pas lu le livre, je suppute. Les oreilles invraisemblables de Charles ? Ca pose question, des oreilles comme celles-là, ça prête à confusion, on cherche dans la vie sexuelle de Genêt ce qu’on n’a pas trouvé dans la sienne, dans celle de Charles, ô Charly, pauvre morpion, pourquoi de telles oreilles ? Pour en faire quoi, un don d’organes ? L’une d’elles aurait d’ailleurs fait l’affaire de Van Gogh, mais Van Gogh aurait-il voulu d’une oreille pareille ? Non. Je suis sûre que non. Picasso peut-être, mais il avait ses deux oreilles, et de toutes façons, il n’écoutait personne. Mais que de telles oreilles, aussi farfelues que grandioses, puissent disparaître un jour, c’est une perte pour l’humanité toute entière. Alors ma question est la suivante : le degré de souffrance d’une otite est-elle proportionnelle à la taille d’une oreille ? Je devrais pouvoir répondre, j’ai lu tout un camion de notices pharmaceutiques, mais elles ne me servent en rien, le mystère reste entier
Rédigé par : Yasmine | 24 février 2009 à 18:00
Ou plutôt, le degré de souffrance d'une otite est-il proportionnel à la taille de l'oreille .
Rédigé par : Yasmine | 24 février 2009 à 20:24
Yasmine,
Vous posez une bonne question: quelle différence entre un "intellectuel" et un "lecteur"? On peut être les deux mais je connais des lecteurs fervents qui ne sont pas des intellectuels, et des intellecteuls passionnés qui n'ont pas le goût de la lecture.
Il me semble que la lecture ouvre, au fond de nous-mêmes, comme le dit Proust, "la porte des demeures où nous n'aurions pas su pénétrer". C'est une clef. Il faut avoir une curiosité inassouvie envers d'autres mondes que soi mais on ne les perçoit qu'à travers soi.
F.F.
Rédigé par : Frederic ferney | 24 février 2009 à 20:26
Oui, c’est une clef. Elle nous est offerte et nous défait, un peu au-moins, de notre opacité et de nos murs. Elle nous ouvre la demeure de l’autre et nous le rejoignons là, à ce point d’union ou nous nous pouvons nous rejoindre. Il y a cette soif, ce désir de “saisir” l’essence de l’autre, et sa soif et son désir à lui d’être rejoint et saisi. C’est une violence qui est faite, une violence voulue.
A cet instant de magie, nous nous reconnaissons en lui et lui en nous. C’est une grâce, et si on ne la perçoit qu’à travers soi, si déjà on a la chance de la percevoir à travers soi, c’est, il me semble, parce que nous ne pouvons nous ouvrir que de là où nous sommes, mais nous ouvrir déjà, et c’est “recevoir” de l’autre, c’est l’accueillir comme il nous accueille.
Je ne me souviens plus des termes exacts de Léonard Cohen : “Il faut une fissure, toujours, une fissure pour laisser passer la lumière…”
Rédigé par : Yasmine | 24 février 2009 à 21:54
Je reviens d'un tournage à France 2 avec un copain de FF : Guillaume Durand. Rien à voir avec les livres, c'était sur le dernier médicament miracle qui fait maigrir. Ca doit faire drôle de se voir à la télé...Enfin ils ne nous ont pas beaucoup filmés j'ai l'impression, nous les adhérents d'allegro fortissimo. On verra ça dimanche prochain à 16H10 dans l'objet du scandale...
Rédigé par : ororea | 24 février 2009 à 23:27
"Il faut avoir une curiosité envers d'autres mondes que soi mais on ne les perçoit qu'à travers soi", c'est très joli ça...
Sauf que, dès qu'il y a partage, conversations, échanges autour d'un livre, la possibilité nous est donnée de le voir - un peu plus loin - qu'à travers soi. Alors même que je crains ne pas être dotée d'une grande générosité, s'il y a une chose que je partage, ce sont mes lectures. Sans distinction et sans limite. Lors de ces discussions régulières avec des gens très différents d'ailleurs,(je fais des petites listes de livres, à leur demande et en toute modestie) j'ai souvent été étonnée de voir les gens sourire ou rire carrément, alors même que je parlais très sérieusement de livres. A ma question "Est-ce que j'ai l'air d'un clown quand je parle, parce que là, maintenant, c'est pas le but recherché!", on m'a répondu "Que l'on te connaisse plus ou moins, tu inspires de la retenue, un abord prudent... (je dois présenter une image sinistre!), mais quand tu parles de livres, tu bouillones, tu t'illumines, tu....on a envie de sourire, de te prendre dans nos bras et d'acheter les livres"! Je leur conseille évidemment de s'en tenir à l'acquisition!!! Mais lorsqu'ils reviennent et me disent merci (de quoi ?), je suis...heureuse.
Alors oui forcément, la curiosité, l'envie, le besoin, la découverte de l'autre, des autres, du monde.
Lire, c'est appréhender le monde avec bienveillance, sérénité, sans jugement, sans retenue et sans indécence.
Lire c'est aussi l'émergence des souvenirs, les questions qui se posent et les réponses qui s'ébauchent ; chacun d'entre nous y trouvera un sens.
Lire, c'est prendre le risque d'être ébranlé, troublé, bousculé, mais c'est aussi la promesse d'être ému, bouleversé, exalté.
Les livres, on se les approprie, avec notre sensibilité, notre instinct, et surtout notre histoire.
Et merci à Yasmine "Il faut une fissure, toujours une fissure pour laisser passer la lumière"...
Rédigé par : Anne Burroni | 25 février 2009 à 02:51
DESSAISIR
Une fissure comme un fil
Sans plomb comme l'essence
D'une fusée spatiale
Qui détoure les labyrinthes
En faisceaux de senteur pourpre
A la lenteur du jour
Le démantèlement procure
Ce que la propriété annihile
Dans la clarté des ténèbres
Et la poussière de coriandre
Il n'y a pas d'autre monde
Il n'est qu'un monde
Parmi les mondes
On n'y croise personne
Mais on y voit du monde
Rédigé par : gmc | 25 février 2009 à 09:58
"Il faut avoir une curiosité inassouvie envers d'autres mondes que soi mais on ne les perçoit qu'à travers soi"
Oui, oui, c'est cela, quel bonheur, quelle tourmente !
Rédigé par : Anne B | 25 février 2009 à 19:03
j'ai également beaucoup aimé ce petit livre, je regrette de n'avoir pu le lire d'une traite, il n'en aurait été que mieux! j'ai apprécié cette réflexion sur la lecture et la transformation de soi, de son être, cette prise de conscience de la vie qui n'est pas forcément facile à accepter et cette venue à l'écriture comme une nécessité. Lire et écrire (d'autres mieux que moi l'on dit) sont liés, et pourtant un grand lecteur fait-il un grand écrivain forcément? C'est aussi une bonne réflexion sur ceux qui nous gouvernent et leur manque de culture livresque, leur manque d'amour pour le livre et la littérature... un petit livre qui en dit long, donc !
Rédigé par : george sand et moi | 26 février 2009 à 23:51