11 janvier
Comment parler des livres à la télévision? C'est le thème d'un débat animé auquel j'ai participé, à l'invitation de Daniel Schneidermann, avec Eric Naulleau, le "dézingueur universel", et Judith Bernard, dans l'émission "Arrêt sur images", sur le web. La discussion continue sur le Forum "arretsurimages.net", si vous le souhaitez.
Quelques mauvaises pensées:
On peut toujours se sauver de la malveillance par un sourire.
Quand il y a du sang (je parle métaphoriquement), il y a toujours un public. Cela doit avoir un rapport avec le symbolique...
Même si c'est un combat perdu d'avance, ne doit-on pas distinguer entre la critique (qui est un art incertain) et la promotion (qui est une technique efficace)? La première pose des questions, donne du sens, légitime; la seconde fait vendre. Quand on veut "casser la promotion" d'un livre dans une émission de promotion, on fait encore de la promotion.
Le rire a tué l'humour à la télévision.
"Essayons de converser sans nous exalter puisque nous sommes incapables de nous taire" (Samuel Beckett, "En attendant Godot").
En France (est-ce cela l'esprit voltairien?), on préfère toujours mordre ou ricaner plutôt qu'admirer. Mieux vaut protester, revendiquer, offrir ses douleurs, brandir ses griefs et ses poings, si l'on veut être entendu et regardé. On veut séduire, on ne sait plus convaincre.
La dialogue entre l'écrivain et le critique ressemble à un duel amoureux et parfois mortel: un écrivain peut être blessé à mort par une critique acerbe, qu'elle soit juste ou injuste. Ayant cessé d'écrire après la violente cabale contre sa "Phèdre", Racine confie dans une lettre à Gourville, l'ami de La Rochefoucauld, qu'il n'éprouve plus "le désir de s'exposer à des blessures". Il s'est tu à jamais.
Dans certaines situations, concourir, rivaliser, riposter, répondre, cela revient à: tuer ou être tué. Le public adore. Même dégoûté, il regarde.
En voulant être systématiquement dé-calé, dé-construit, dé-janté, hors des rails, etc., on devient parodique. Un peu ce qu'est le catch au noble art. Entre parenthèses, la parodie peut aussi être un art: Carmen Miranda, Copi, Carmelo Bene, le film "Mash", à la limite Pinter, et peut-être Echenoz, quoiqu'il soit plutôt du côté du pastiche - dans le pastiche, il y a l'amour, et dans la parodie l'envers de l'amour.
"Jouer en public, créer, s'exposer, pouvoir mourir ne se distinguent pas. C'est d'ailleurs pourquoi on voit des personnes ruisselantes de dons qui en restent à l'option tuer. On les appelle des critiques. Qu'est-ce qu'un critique? Quelqu'un qui a eu très peur de mourir. Dans les grandes capitales des nations occidentales et nord-américaines, on peut voir face-à-face ceux qui peuvent mourir et ressusciter, et ceux qui ne peuvent pas ressusciter et qui tuent. On appelle cela la vie culturelle". Voilà ce qu'écrit Pascal Quignard dans son ouvrage "Vie secrète".
A la misère de l'artiste blessé s'oppose la solitude du critique assassin.
Un bon conseil: pour obtenir le succès, soyez cynique et sentimental.