19 mars
Lu: "Truman Capote" de George PLIMPTON, traduit de l'américain par Béatrice Vierne (Arléa).
Il y a une façon d'entrer dans la vie, dit Marcel Jouhandeau, qui nous désigne d'emblée comme un homme ou un faux-jeton, comme une âme élégante ou un sagouin, comme un élu ou un damné. Dans quelle catégorie classer Truman Capote? Je peine à le placer dans sa lumière exacte - cette lumière, on peut bien l'appeler postérité, elle n'est somme toute que l'effet de préférences intimes, d'autant plus fortes qu'elles sont au fond indéfendables.
Le plus souvent, on ne voit que le personnage, amusant ou pathétique, on oublie l'écrivain. Le livre passionnant de George Plimpton ne m'a pas permis d'avoir une opinion définitive sur l'homme. J'ai été, en revanche, séduit par la forme de l'ouvrage: une "biographie orale", qu'est-ce à dire? "Le lecteur se voit offrir des informations de première main, un peu comme s'il tombait par hasard au milieu d'une nombreuse réunion, disons un cocktail auquel seraient conviés les personnes ayant connu Truman Capote. Le verre (sans doute de vodka) à la main, il passe de groupe en groupe et il écoute les souvenirs personnels, les opinions, les commentaires au vitriol, les anecdotes".
L'auteur s'efface, il se contente de transcrire les propos des gens, inconnus ou célèbres, qui ont rencontré Truman Capote (1924-1984). C'est évidemment la porte ouverte aux témoignages contradictoires, au namesdropping et aux ragots (dont Truman Capote lui-même était si friand) mais cela sonne finalement plus vrai que l'avis autorisé d'un biographe unique. C'est vivant. Dans le miroir qu'on nous tend, Truman Capote se ressemble: moins un samouraï qu'une midinette... encore que! Un seul reproche: le lecteur français manque de repères. On aurait aimé disposer d'un index en fin d'ouvrage. L'éditeur n'a même pas jugé nécessaire de nous proposer un sommaire ou une table des matières! C'est un peu gênant.
Tout commence à Monroeville, dans l'Alabama. Vous n'imaginez pas le bled (je l'ai visité): après des kilomètres de champs de coton, vous découvrez une bourgade écrasée de chaleur comme il y en a tant dans le Deep South. Un magasin de vidéos, une librairie chrétienne, le drugstore de Dickie Williams. Des restaurants: Hardees, MacDonald's, un troquet batisé Radley's, en hommage à Boo Radley, le héros de "Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur" de Harper Lee.
Première surprise: le grand homme de Monroeville est une femme, Harper Lee, qui a été la meilleure amie de Truman. Ce qui ne l'empêchera pas de colporter des horreurs sur elle devant des journalistes. "Comment as-tu pu raconter une histoire pareille? Tu m'as toujours dit que Lee était une femme merveilleuse", s'étonne une proche, Liz Smith, indignée par ses trahisons. "Eh bien, ça lui apprendra!", répond Truman.
Tout est provocation et masque, chez Truman Capote; il semble parfois ne chercher qu'une seule chose: stupéfier l'assemblée, et il y parvient le plus souvent, son ton catégorique faisant impression sur des esprits timides. Un poseur? Sans doute mais après tout, quand un écrivain prend une attitude, il prend l'attitude de ce qu'il est réellement. Il est très naturel de ne pas aimer Truman Capote. On peut le trouver insupportable, mondain - il avait "un côté vraiment sème-la-merde" dit Kate Harrington. On peut également l'adorer pour son agilité, son esprit, sa faculté de toucher à tout et de ne coller à rien - il fait cela admirablement. Il suffit toutefois de lire ou relire "De sang froid" (1966), le premier "roman-vérité" (nonfiction novel), son maître-livre, pour s'apercevoir qu'il a exercé une influence considérable sur la forme du roman américain, et cela clôt le débat. Un gnome cruel ou un aristocrate en songe? On s'en fiche, comme de savoir que le doux La Fontaine ou le grand Racine ont parfois commis des bassesses.
Pour le reste, le livre de George Plimpton apporte un précieux éclairage sur les relations de Truman Capote avec Jack Dunphy, l'homme de sa vie, sur sa rivalité avec Gore Vidal et Carson MacCullers, son amitié singulière avec Humphrey Bogart. "Quand on le voit pour la première fois, on n'arrive pas à croire qu'il est pour de vrai. Et puis, au bout d'un moment, quand on apprend à le connaître un peu, on a juste envie de le mettre dans sa poche et de le rapporter à la maison", confie Bogie (à Lauren Bacall).
Non, Truman Capote n'était pas un monstre. Il adorait les serpents, les bull-dogs, la vodka. Pas que la vodka. Il a aimé la vie comme une offense. Il est mort de solitude comme tout le monde.
"Il est mort de solitude comme tout le monde."
La complainte du clochard (pour changer de registre)
Je mange seul, je fais la manche seul, je joue de la guitare seul, je fais la queue seul aux restos du coeur. Je ne parle à personne. Ma tête devient de plus en plus vide. Hier quelqu'un est venu me faire la conversation et je n'ai pas réussi à lui parler, j'ai perdu l'habitude de communiquer. Il a écouté mon silence. Ce sont peut-être ces années à prendre de l'haldol qui m'ont détruit le cerveau. j'ai l'impression ue j'atteins souvent l'ataraxie, l'absence de tout souci. Je ne pense à rien, je suis bien, zen. Mais l'enfer c'est quand quelqu'un vient me parler, je ne trouve plus les mots, je suis handicapé du langage. Quand c'est une femme, n'en parlons pas, je suis paralysé et le mutisme atteint sa plus haute expression. Je lis peu, ça aggrave les choses, je pense; et puis l'alcool ça n'aide pas, ça et l'haldol. Je devrais délirer mais non, rien, je suis sec, je ne suis que blocage. On me croit timide ou fier, snob. Heureusement que j'ai ma pancarte pour remercier les gens. Je ne saurais leur exprimer oralement ma reconnaissance. Dejà petit avec mes parents on ne parlait pas, on écoutait la radio en silence. J'étais nul à l'oral, en classe, je brillais à l'écrit. Je suis incapable de penser si je n'ai pas un stylo dans les mains. Je vis seul depuis mes dix sept ans et je crois que la partie du cerveau qui sert à parler s'est complètement atrophiée. Si je ne l'étais déjà, ce serait à devenir fou.
Rédigé par : ororea | 19 mars 2009 à 00:54
I’ve always known,
since I was a young boy,
in this world everything's as good as bad
Now my father told me : "always speak a true word"
And I have to say that is the best advice I’ve had.
Because something burns inside of me,
It’s every thing I long to be
And lies : they only stop me from feeling free
like a hobo from my broken home nothing's gonna stop me,
Like a hobo from my broken home nothing's gonna stop me
C. Winston
http://anthropia.blogg.org
Rédigé par : Anthropia | 19 mars 2009 à 10:14
Ororea,
Merci pour "la complainte du clochard". Oui, il y a de ça, chez Truman Capote. Comme s'il demeurait une énigme, je ne sais quoi d'infantile et douloureux.
F.F.
Rédigé par : Frédéric Ferney | 19 mars 2009 à 10:44
On se demande pourquoi, le pouvoir des mots, qui comme un exutoire, permet à l'écrivain de vivre à travers eux, puisse soudain, harcelé, par les fougues, fulgurances, fragilités, faiblesses, laisser chuter son créateur au fond d'un puits sans lumière ?
Son "grand livre" "de Sang Froid", auquel Truman Capote a consacré plusieurs années de sa vie, n'est-il pas, (si l'on ajoute,les maux physiques, abus et excès divers), responsable de son ascension et sa terrifiante dégringolade ?
Tel un cri de désespoir,le besoin de s'exprimer, ce besoin qui vide littéralement le corps et l'esprit, et qui ne peut que se résoudre dans l'écriture (ou la pratique artistique), échapperait-il à la création littéraire ? L'essentiel disparaît, et l'essentiel c'est le drame même de cette création qui se jouait depuis des années. Vie ? Vie littéraire ? L'une d'un côté, l'une de l'autre ?
Je pense à Pierre Guyotat (désolée je m'égare toujours un peu) :
"Mais l'oeuvre est là, sous mes doigts, des voix qu'il faut que je libère de mes entrailles."
P.S : N'est-ce pas lors d'une émission du Bateau Livre, Frédéric, reprenez-moi si je me trompe,
vous demandiez à P. Guyotat s'il devait sa vie à la littérature, et il vous a répondu "Non c'est le SAMU."
Rédigé par : Anne B | 19 mars 2009 à 10:49
Wéééééééééééééééééééééééééé! FF a aimé un de mes textes, c'était un de mes rêves. Je peux mourir tranquille. Les FF faut pas les faire rire, faut les émouvoir...Mais bon désolée, moi ma pente naturelle, c'est l'humour celte, même s'il y a un peu de moi dans l'histoire du clochard...Et sinon, mon ô bats moi, Obama, d'hier, ça vous fait pas rire, hein?
ororea (fishing for compliments, éhontément)
Rédigé par : ororea | 19 mars 2009 à 13:06
Et sinon, pardonnez mon esprit de l'escalier, avant de mourir, on pourrait pas /censuré, censuré, censuré, censuré, censuré, censuré/ et aussi éventuellent /censuré, censuré,censuré, censuré/? On le dira pas à mon psy...
Rédigé par : ororea | 19 mars 2009 à 15:39
Un débat sur la littérature et le web, avec des copains de FF (Abiker, Naulleau, entre autres):
http://www.dailymotion.com/video/x8o35v_parlons-net-avec-naulleau-solal-le_news
Rédigé par : ororea | 19 mars 2009 à 19:04
Vous citez "Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur" de Harper Lee, roman poignant, remarquable, de ceux dans lesquels on pénètre presque inconsciemment... et dont Truman Capote s'est targué d'être le véritable auteur ! Sachant, comme vous le rappelez, que Harper Lee était sa meilleure amie...
Provocateur dites-vous, à tout le moins un qualificatif fort poli !
Je n'ai encore jamais lu Truman Capote, mais "Prières exaucées" qui est en attente dans mes "réserves" me semble tout indiqué pour aborder le "personnage" que vous nous décrivez.
Rédigé par : Anne Burroni | 20 mars 2009 à 00:01
Anne B.,
Oui, vous avez bonne mémoire. "Sacré" Guyotat! Voilà quelqu'un qui hisse la littérature jusqu'à la sainteté.
Quant à Truman Capote, "De sang froid" a sans doute été en effet son salut et sa perte.
F.F.
Rédigé par : Frédéric Ferney | 20 mars 2009 à 10:45