22 mars
Reçu: la revue L'Infini (n°106, Printemps 2009) de et avec Philippe SOLLERS, évidemment!
Dante et Céline, c'est son bréviaire. D'un voyage , l'autre. L'Enfer, le Purgatoire, le Paradis, what else? Faute de savoir prier, comme saint Jérôme, Sollers les lit, il les relit sans fin. Ils sont là, tout près, tout neufs. Il les décortique sans les gâcher, il les recrute, il les devine. Il pioche dans leur oeuvre des émois, des arguments, des alibis. Des preuves? Non, plutôt des présages - les preuves fatiguent la vérité, disait Braque.
Il y a dans ce trésor des phrases qui lui vont comme un gant. Par exemple celle-ci, de Talleyrand, cité par Céline: "On dit toujours de moi trop de bien ou trop de mal. Je jouis des honneurs de l'exagération". C'est bien lui, c'est tout Sollers, cela. C'est du moins ce qu'il veut qu'on croie. Ca l'arrange. Un romancier, oui, oui, sans doute, un imprésario pas trop subtil (de soi et des siens), come no? mais d'abord un écrivain, un professeur de lettres. Avec cela, c'est l'homme le plus secret qui soit.
1. Dante. Depuis que Jacqueline Risset l'a débarbouillée de son fatras médiéval, on lit "La Divine Comédie" autrement. Sollers s'étonne: "dantesque" veut dire infernal et jamais paradisiaque. Pourquoi? On ne croit plus au paradis. Un "bonheur parfait", un "amour qui ne serait que lumière", une "compréhension absolue", vous plaisantez! Trop élitiste. L'enfer est beaucoup plus démocratique, l'absence d'amour et de lumière aussi. "Le Paradis a donc mauvais réputation, et j'ai même entendu beaucoup d'imbéciles (toujours très XIXe siècle) me dire que l'Enfer était plus "intéressant". Chacun ses goûts, et bonne chance", ironise Sollers.
Le voyage de Dante est "initiatique", il est "progression vers la connaissance" (la gnose, si vous voulez). C'est ce qui fascine Joyce et Beckett. L'Enfer est glacé. Le Paradis? Tout feu tout flammes. De la musique, de la danse, de la vitesse, des métamorphoses. C'est "le séjour où la joie s'éternise". Quelle meilleure définition du bonheur? Quoi, là maintenant, aujourd'hui? Oui, tout de suite, pourquoi attendre?
"En réalité, personne ne veut du paradis parce qu'il est gratuit", note Sollers. On n'y croit pas, on n'y croit plus. Vous avez peur de passer pour un imbécile? Mais l'amour, le bonheur, la joie, c'est toujours gratuit, voyons! Axiome: "Le bonheur réel ne peut être que clandestin dans un monde livré au calcul". Conclusion: si la proposition dantesque: "L'amour meut le soleil et les autres étoiles" vous laisse froid et ricanant, tant pis pour vous. "Le bonheur rend invisible. C'est la grâce qu'il faut se souhaiter". Sollers, l'Homme invisible en songe.
2. Céline. D'abord une recommandation: oublier d'abord tout ce qu'on a pu dire ou médire de Céline. "Ouvrons simplement ces petits cahiers d'écolier danois, griffonnés au crayon, en 1946, par un prisonnier du quartier des condamnés à mort, à Copenhague". Pas de références. Où a-t-il pêché ces textes? Mystère. Pas grave.
Céline a traversé l'Allemagne sous les bombes avec sa femme et son chat, il a été arrêté, il s'attend à être fusillé à tout moment. Il se croit perdu, il l'est. Ce qui l'inquiète, c'est Lucette, sa danseuse: et si la sinistre escapade lui avait brisé les jambes? Et si on lui avait cassé "le rythme divin, si fragile de la danse, le secret des choses"? Il écrit: "Je titube bourdonne comme une mouche et puis je vois mille choses comme des mouches, mes idées se heurtent à un énorme chagrin". "Je suis plein de musique et de fièvre". "L'envie de mourir ne me quitte plus, c'est la seule douceur". Il n'a plus l'idée d'un monde où la douceur serait possible. Sa rage l'a quitté.
Céline sait par coeur toute la littérature française: Villon, Descartes, Voltaire, Chateaubriand, La Fontaine (le plus grand à ses yeux ou plutôt à son oreille), les moralistes du XVIIe-XVIIIe siècles et la petite Scudéry et les grands chroniqueurs du Moyen-Age. Ca remonte à la surface, ca crève comme des bulles. L'art de la citation, note Sollers, est le plus difficile qui soit. "Les jours en silex succèdent aux jours en caca. C'est la bonne vie de vache pour laquelle je suis fait. J'accumule les maléfices, je m'en servirai bien un jour". Son cloaque est pétri d'azur. Sollers s'y promène avec un filet à papillons.
What else, en effet. Tout le monde ne peut pas être Georges Clooney, capable de faire même d’un simple spot de pub, une si belle caresse pour les yeux, et qui sent bon en plus. En voilà une merveille qu’elle me plaît beaucoup beaucoup.
Rédigé par : Yasmine | 22 mars 2009 à 11:53
Cher Frédéric,
J'ai essayé de lire votre texte à la vitesse de Sollers, les petits gestes, le large, le vent, "planer, voler, nager, surfer...mais impossible , trop pressée, je me suis arrêtée, pour relire et relire encore, simplement, lentement, doucement, emportée par
une bouffée d'air pur, parce que vos lignes, pour moi sont ce "plaisir à partager", rare en littérature. Je ne peux évidemment pas me dérober, sur ce blog, tout le monde aura compris, l'admiration et la tendresse (tendresse fait sourire sans doute), que je ressens pour l'immense lecteur et écrivain qu'est Ph. Sollers.Il est mon surfer de mots, de phrases, une volute de bonheur, l'intelligence, la pensée, le mystère...
Quand je l'ai découvert, étudiante, j'ai été comme foudroyée, subjuguée, passionnée; pourtant je ne cache pas mes nuits blanches, passées, en compagnie de "Lois" et "Nombres", (ses romans, qui sont pour moi, les plus difficiles à sonder), et puis j'ai dû rattraper mon retard, que de livres déjà, de réflexions, de silences à "interpréter", quel curieux désir, quel état de vivre à découvrir !
J'ai été, et "je suis vite" comme lui, tombée dans cette merveilleuse spirale, je ne regrette rien.
Reniant l'école, soulagée d'en être débarrassée après le bac, Ph. Sollers a été le plus grand et le plus éloquent de mes "professeurs de lettres", j'ai envie de dire de vie. Parfois un désaccord ? (ça m'arrive), ça passe, ça passe... c'est sans importance...il y a autre chose...
Vous disiez, Frédéric, à l'ouverture de votre blog, (si ma mémoire est bonne), que le "plaisir est plus facile à partager", c'est vrai, c'est fait (une fois de plus)...merci
"Parce qu'il est l'homme le plus secret qui soit", il ne saura jamais sans doute, que son oeuvre a secoué ma vie, pas grave...l'un de mes rêves, le lui dire "sulle zattere", mais, on ne s'y retrouve jamais dans le même temps "peccato".
Il a écrit à propos des "zattere", "un voyageur un peu expérimenté sait que c'est le plus bel endroit du monde", "sono d'accordo" et "a presto".
Anne.
Rédigé par : Anne B | 22 mars 2009 à 13:29
Bon sang de bois ! “Il est bo il est bo le lavabo il est laid il est laid le bidet il est là il est là l’Ebola chauffe Marcel chauffe, bon sang puisque je te le dis !
Eh bé ! J’en reste baba ! Notez, chacun ses coups et ses douleurs comme dit MC Sollars (il a dit ça ?) Mais pour ce qui est de surfer planer voler nager me noyer même ! Sur l’écran noir de mes nuits blanches ô Lucifer donnez-moi un Clooney ravageur et son regard velouté et les volutes par-desssus le marché et le plaisir pour le même prix et le partage et la liqueur en prime de ce café bien noir, noir et sans sucre s’il vous plaît, et serré, bien serré merci bébé.
Rédigé par : Yasmine | 22 mars 2009 à 16:25
L'ART DES RICHES
L'art de la citation
Juste un talent de courtisan
De perroquet à la plume lasse
Ou de fainéant consommé
Ni plus ni moins
Un art sans art
Dont le faire est absent
Et le velours rêche
Comme une peau de chamelle
Gonflée à l'hélium
Rédigé par : gmc | 22 mars 2009 à 19:11
gmc,
Ne pas citer, c'est oublier le passé dont nous avons besoin pour vivre dans le présent.
Mes excuses, mais je cite Voltaire "l'art de la citation est l'art de ceux qui ne savent pas réfléchir", pauvre de moi, quelle andouille je fais! Comment ne pas échapper à la citation, c'est un argument, une aide, pas une échappatoire, un risque , une façon de se sentir moins seul, sans renier sa solitude. On dit que Sollers en abuse (mais que ne dit-on pas sur lui), parce que pour lire Sollers, je pense qu'il faut avoir beaucoup lu, après c'est une histoire de goût, d'être un homme ou d'être une femme, on s'y retrouve, ou on s'y perd.
Rédigé par : Anne B | 22 mars 2009 à 22:34
"Ne pas citer, c'est oublier le passé"
enfin un pas vers le présent^^.....
"dont nous avons besoin pour vivre dans le présent."
non, votre "présent" n'est qu'une projection du passé opéré par un mouvement appelé pensée - on pourrait presque appeler cela une fiction, n'est-ce pas? d(^_^)b -, mouvement que vous êtes dans l'impossibilité de stopper (cela ne prend que 5 minutes pour s'en rendre compte, il suffit juste d'essayer^^) mais que, malgré l'évidence de ce simple fait, vous revendiquez comme vôtre, amusant, non?
la réalité s'inscrit-elle de ce point de vue comme "je pense" ou bien comme "je suis pensé(e)"?
Rédigé par : gmc | 22 mars 2009 à 23:04
gmc,
"Mon présent" se construit de pensées passées, certaines s'annulent, d'autres résistent parce qu'elles dépassent la notion de temps, elles se projettent dans le présent. S'il y a mouvement, c'est parce que tout reste vivant, le souvenir confère à la citation un autre temps, une autre formule, elles prennent vie. La fiction n'est-elle pas l'enveloppe du réel, une sorte de corps à corps bien charnel ?
Rédigé par : Anne B | 22 mars 2009 à 23:27
aucune pensée n'est en mesure de dépasser la notion de temps.
pour le reste, observez le mouvement de la pensée et vous verrez peut-être que l'agitation n'est pas forcément une forme d'action. c'est une histoire de grain de vision.
on peut répondre oui et non à votre dernière - et très jolie - phrase: dans une salle de cinéma, ce qui se déroule sur l'écran n'enveloppe pas la salle d'où il est contemplé, et, même en le considérant ainsi, ça n'enveloppe ni ne recouvre la salle où se trouve les bobines.
Rédigé par : gmc | 23 mars 2009 à 00:35
Sollers, quant à lui, ne parle pas de "citations", mais de "preuves".
Et puis tout texte littéraire, j'écris "littéraire" à dessein, n'est-il pas (aussi) le reflet du patrimoine (in)conscient du narrateur, ledit patrimoine largement abreuvé de citations, d'éclats de lecture - ne pas le reconnaître reviendrait, de manière immanente, à faire croire que le concept de "génération spontanée" existe bel et bien -, de palimpsestes... ?
Rédigé par : Christophe Borhen | 23 mars 2009 à 09:13
^^ christophe,
c'est bien là la différence avec char qui dit "le poète doit laisser des traces, pas des preuves"...
pour "génération spontanée", ça renvoie directement à la notion de temps.
Rédigé par : gmc | 23 mars 2009 à 10:50
@ gmc : je suis également d'accord avec vous, citation de Char à l'appui...
Rédigé par : Christophe Borhen | 23 mars 2009 à 11:23
Ç = alt128 (ma factrice passe vers 13h00)
Rédigé par : gustave | 24 mars 2009 à 11:08