20 février
LU: "La Maison Maupassant" de Patrick WALD LASOWSKI (Collection L'Un et L'Autre, Gallimard).
Une vie en coup de vent. Maupassant (1850-1893) écrit l'essentiel de son oeuvre (300 contes, 5 romans, une pléiade de nouvelles) en une décennie; il meurt à 43 ans. Un météore. Il y a d'un côté celui que Paul Morand appelle le "taureau normand": le canotier musclé, le yachtman, le baiseur. Quelle santé! Et d'ailleurs, comme son cher Flaubert à qui il conte ses prouesses, il s'en vante, il compte les coups, devant un huissier si nécessaire!
De l'autre, le petit garçon, né la mort dans l'âme, le névrosé, éthéromane et syphilitique, hanté par son hérédité (mère étrange et adorée, frère fou). Trop rapide, trop simple. C'est évidemment le même homme "qui va, jouit, souffre, fait son métier d'homme et d'écrivain", écrit Patrick Wald Lasowski.
Mais c'est le second qui le passionne, l'inquiète, le trouble: le Maupassant remordu par son enfance triste et qui, dans ses ultimes années, s'épouvante devant "la voix de ce qui passe, de ce qui fuit, de ce qui trompe, de ce qui disparaît, de ce que nous n'atteindrons jamais, la maigre petite voix qui crie l'avortement de la vie, l'inutilité de l'effort, l'impuissance de l'esprit et la faiblesse de la chair". Lasowski veut débusquer, quoi, le Horla, l'aile noire de la folie, ce baiser froid que la bouche prend sur la bouche du défunt?
Le problème, c'est que Maupassant résiste: il s'échappe, il s'engouffre, il sombre. Comment le suivre? "Ce sont muses et mouches étranges, qui bourdonnent aux oreilles de l'écrivain, venus de l'intérieur. Murmure insaisissable, qui se réfracte, se disperse, cueille les voix qui passent": comment apprivoiser les muses, les mouches, le murmure? A chaque nouveau chapitre, Lasowski, qui connaît son Maupasant par coeur, semble vouloir recommencer da capo, écrire un autre livre, comme s'il pressentait que le sujet lui glisse entre les doigts.
Justement, quel est le sujet: est-ce la mère, la femme, le sexe, les maisons quand elle sont closes, bordel ou clinique. "Quand le cher patron (Flaubert) meurt 8 mai 1880, Maupassant reste seul, devenu lui-même la grande maison vide hantée des souvenirs où des voix perdues résonnent dans la nuit". Allons bon, voilà qu'il se prend pour une maison, notre "vieux chéri"! Maupassant est un cas. Qu'est-ce qu'un cas? C'est ce qui tombe. Lasowski a beau faire, Maupassant se dérobe, peut-être moins par ce qu'il tait que par ce qu'il dit (sur son mal), et il en dit trop, et trop bien. Dès lors, il suffit au lecteur de se servir: tout devient preuve, pressentiment, présage. A la fin, hélas, on n'est pas plus avancé.
Peut-être, de surcroît, l'auteur s'est-il fait piéger par l'esprit de la collection, L'Un et l'Autre: "Des vies, mais telles que la mémoire les invente, que notre imagination les recrée, qu'une passion les anime. Des récits subjectifs, à mille lieues de la biographie traditionnelle... Entre le portrait d'un autre et l'autoportrait, où placer la frontière". Il y a toujours un risque à ce jeu-là: on ne sait plus trop qui réfléchit quoi, on perd à la fois l'auteur et son héros, le peintre et son modèle.
"Etrange comme les mares sont profondes dans les nouvelles de Maupassant", note Lasowski: oui, on s'y perd, on s'y noie. Ce sont des gouffres. La femme est-elle un refuge? Maupassant répond : "Si je la pouvais comparer à une maison, je dirais qu'elle n'est habitable que lorsqu'un mari a essuyé les plâtres". Ce n'est qu'un vilain mot, pas son meilleur. Et faut-il le croire, ce fou? Tout frémissant d'une sensibilité de vierge sous ses dehors de canotier aimable et hâbleur.
P.S. Je me suis toujours demandé: pourquoi le grand Henry James, qui adorait Balzac (jusqu'à vouloir l'imiter, par exemple dans son roman si parisien, "Les Ambassadeurs"), vouait-il à Maupassant une furieuse détestation, bêtement puritaine alors qu'il l'est si subtilement, dans sa fiction? Il l'accuse de réalisme en somme. Que penserait-il de Bret Easton Ellis?
Monsieur Ferney,
Juste une petite rectification concernant les dates de Maupassant que vous mettez au 20e, il est né en 1850 et mort en 1893 donc au XIXe.
Rédigé par : Jpaul | 20 février 2009 à 00:23
"Compte les coups", huuuum : il serait désolant qu'un agrégé d'anglais ne s'y connût pas en éducation anglaise...
Rédigé par : ororea | 20 février 2009 à 01:05
Bonjour,
entre deux, j'écoute Maupassant (dans ma voiture); "Les Nouvelles Cruelles" (Pierrot, la rempailleuse, La mère sauvage, Une famille) lu par Robin Renucci (très belle voix).
Et puis La Maison Tellier aussi.
En passant, BISOUS à mes chéris...
;o)
http://www.youtube.com/watch?v=cYDu4noJBBY
Rédigé par : Alistrid | 20 février 2009 à 07:54
@ Alistrid : votre " j'écoute Maupassant " est de toute splendeur. Il m'enchante.
Rédigé par : Christophe Borhen | 20 février 2009 à 10:47
Patrick Wald Lasowski "cherche Maupassant désespérément", quoi de plus étonnant pour cet érudit de la littérature libertine ?
L'auteur est connaisseur , la vie de Maupassant fascine, c'est une vie extrême , sauvage , une vie de fureurs qui se cache sous le bonhomme moustachu. Comment échapper au feu du corps, au fou qui l'habite, au vertige ?
Auteur de délicieux livres sur le libertinage, il est réjouissant et passionnant de lire ou de relire P. Wald Lasowski,
"Le Grand Dérèglement", nous entraînait dans le mouvement incessant des corps et des idées, dans un monde de vitesse et de légèreté, doué pour imaginer, goûter, sentir, raisonner, rire s'enthousiasmer, sa réflexion est nourrie et savante,et sa plume sensible, légère, se veut très lisible (libertinage de plume).
Les corps et les idées se rejoignent , s'étreignent, toujours, partout, à toute vitesse...
Un petit tour chez Maupassant (ma dernière visite commence à dater),"Bel Ami", c'est mon préféré, et un long détour dans "La Maison " de Patrick Wald Lasowski", je ne vais pas m'ennuyer, que de nuits blanches en perspective !!
Rédigé par : Anne B | 20 février 2009 à 12:00
Ororea,
Quel coup de bluff!
C'est sans rancune, j'espère...P. Wald Lasowski, impossible de résister!
J'ai des problèmes avec le langage, pas étonnant, cette nuit j'ai rêvé en italien, tout cela à cause de "La Divine Comédie",et plus incroyable encore, mon rêve était rythmé par une chanson d'enfance, Alla Fiera dell'est, de A. Branduardi (consternant!)...
Alla fiera dell'est,
per due soldi un topolino mio padre comprò
Et là ça se complique car les paroles s'enchainent et reviennent inlassablement...
E venne il gatto che si mangiò il topo
che al mercato mio padre comprò
...
E venne il cane che morse il gatto
che mangiò il topo
che al mercato mio padre comprò
E venne il bastone che picchiò il cane
che venne il gatto
che mangiò il topo
...
E venne il fuoco che bruciò il bastone
....
Vraiment consternant!
Rédigé par : Anne B | 20 février 2009 à 12:54
Le délicieux James ne hait-il point Maupassant, parce que tout bêtement il lui ressemble ?
Quand on lit Maupassant, on est frappé par les petits détails du style, la main qui se crispe, comme l'aveu psychologique, le réalisme de Maupassant sert non de délayeur, mais de révélateur.
Pour moi, Maupassant, c'est un électrochoc à l'âge de 12 ans, quand j'ai lu Une Vie, cela m'a fait comprendre des mystères du monde qui me posaient question, cela a déclenché un pacte intérieur, que je ne révélerai pas ici.
http://anthropia.blogg.org
Rédigé par : Anthropia | 20 février 2009 à 12:55
A Gmc,
Oui, bien sûr, sous la surface, les fonds sont toujours calmes et sereins. Mais c’est quelquefois un sacré boulot de s’en souvenir ! Prendre de la profondeur, s’installer au calme, sans craindre le Vide, pure réceptivité, accueil, écarter un peu notre petit Ego qui s’affole et pour qui le Vide est rupture, c’est très simple et très compliqué. Ou très complexe. Mais s’écarter, faire ce pas de côté qui permet au Plein d’advenir, se mettre “en vacances”, quand on y parvient, même un peu seulement, et c’est poser les armes et lâcher la peur, et c’est peut-être enfin, savoir ce qu’on est venu foutre sur cette sacrée planète, laisser la Vie vivre à-travers nous, je pense, se mettre à son service et voir ce qu’elle a à nous dire. Mais nous faisons tout l’inverse ! L’Illusion est selon la pensée yogique, un décor que l’on prend pour la réalité, puisque pour le Yoga, le monde n’est pas chaos, mais réseau. Ca me renvoie d’ailleurs au Tao dont il était question il y a quelques jours.
Mais je suis loin de Maupassant ! Pardon pour ce hors-sujet. (Qui me fait penser au Horla, tiens, pour le coup !)
Rédigé par : Yasmine | 20 février 2009 à 13:25
Le concept de la collection "L'un et l'autre " (qui parfois pourrait devenir l'un EST l'autre) m'a toujours paru intéressant malgré les écueils que présente ce type de démarche. Sans doute faut-il davantage rechercher dans l'ouvrage en question ce que Maupassant révèle de Wald Lasowski, les résonances qui s'opèrent entre les deux personnalités, les deux univers, les deux regards et les obsessions partagées par les deux hommes et/ou écrivains. Peut-être Maupassant vu par Wald Lasowski se dérobe-t-il parce que Wald Lasowski se dérobe à lui-même ou cherche à se dérober au lecteur auquel il fait "semblant" de révéler une autre part de Maupassant. Quoi qu'il en soit, cette collection ne doit pas être abordée avec les horizons d'attentes qui sont ceux du lecteur d'une biographie traditionnelle, à savoir scientifique et universitaire. La subjectivité est ici au coeur du processus. Elle est revendiquée. Avec toutes ses limites et son intérêt. Le biographique et l'autobiographique s'entremêlent, se superposent, se parasitent. Dire l'autre pour se dire soi-même. Mais ces quelques remarques que m'inspirent le billet de F. Ferney ne sont que supputations puisque je n'ai pas lu cet ouvrage...
Rédigé par : Franck Bellucci | 20 février 2009 à 13:28
A Jean-Louis B,
Le patient anglais, oui, j’en ai entendu parler, mais je ne l’ai pas vu. Et je crois que “Jonnhy s’en va t-en guerre” est également tiré d’un livre. Et je ne sais pas du tout pourquoi, tout ça me fait penser à ce livre terrible, de James Agee, écrit au scalpel, “Mort dans la famille”. Je ne le relirai pas ! Je crois, vous savez, que je vais plutôt relire toute la collection de Tintin et d’Astérix, et peut-être aussi un petit coup de Gaston Lagaffe ! Lol
Rédigé par : Yasmine | 20 février 2009 à 13:34
"Ce n'est qu'un vilain mot"
absolument pas, il convient juste de savoir le lire; en fait, c'est plutôt une vilaine interprétation de ce mot, ff.
Rédigé par : gmc | 20 février 2009 à 17:48
Je reviens d'un atelier d'écriture : mon style de colore de l'influence de GMC et de FF. Ca donne de la cyprine qui s'acointe avec je ne sais quoi.
Enfin ça plait...
@ Anne, je plaisantais (et en plus elle parle italien, La concurrence est rude)
Rédigé par : ororea | 20 février 2009 à 18:11
LE HAVRE BY NIGHT
Les maisons closes
Ne sont qu'un hôtel de passes
Où d'expertes exciseuses
Font l'expérience des frissons
Des nouveaux clitoris
Que le taureau normand
Au canotier musclé
Ponctue d'un baiser froid
Au coeur des profondes marées
D'où s'envolent d'étranges mouches
Dans un coup de vent nommé vie
Rédigé par : gmc | 21 février 2009 à 09:49