30 janvier
RELU (à la paresseuse, pour me délasser et rompre avec mes émois dans l'ombre radieuse de Simone Weil): "Mauvaises pensées choisies" de NIETZSCHE, Choix établi par Georges Liébert, Avant-propos de Mona Ozouf (Collection Tel, Gallimard).
Que vous soyez sur le point d'arroser votre géranium ou de vous marier, Nietzsche est un auteur toujours opportun, toxique, providentiel. Il vous offre une petite tasse de néant qui vous fouette, idéal pour démarrer le matin, puis il vous tranquillise avec un gros verre de schnaps lyrique, un hymne à Dyonisos, un salut aux étoiles, le soir avant coucher. Mona Ozouf recommande de le lire en marchant, en dansant, si on en a envie, c'est divin! Montaigne lisait à cheval, Nietzsche lui-même en faisant de la luge avec Lou-Andreas Salomé: un bon livre doit subir l'épreuve du grand air.
A-t-on ainsi le droit, me direz-vous, de picorer au petit bonheur une sentence, une invective ou un anathème dans l'oeuvre de Nietzsche réduite à un digest? Est-il convenable de tirer sur ses grosses moustaches de facteur rural et mélancolique? Est-ce autorisé? Mona Ozouf, adepte de l'école buissonnière, nous y encourage. Son avant-propos est un délice - sans aberration de piété! Il y a, croit-elle, dans la quête hasardeuse du fragment, "quelque chose qui absout et même encourage la promenade en zigzag", comme font les oiseaux, les libellules, les enfants, les gardes-champêtres: "Quand les formes longues demandent toujours peu ou prou votre reddition, les formes brèves ne veulent que votre réaction". Bien sûr vous trouverez toujours des grincheux, des chercheurs de poux, des pions, des veuves abusives, des spécialistes, qui réprouveront cet usage désinvolte de Nietzsche: ne leur parlez plus, ce sont des aigris.
Ce qui étonne, c'est à quel point Nietzsche semble toujours prêt à s'émouvoir, à varier, à se contredire, avec la même fougue: est-il misogyne ou amoureux? Voltairien ou romantique? Enclin au traité ou à la rhapsodie? Est-il un gai luron ou un bonnet de nuit? Préfère-t-il la provoc, les paradoxes ou les préjugés? Est-il extrémiste ou sentimental? C'est cela qui est amusant, on ne sait pas, comme quand par exemple il met dans le même sac "les boutiquiers, les chrétiens, les ruminants, les Anglais et autres démocrates"! C'est la vérité qu'il veut dire, et il veut la dire toute, ça le fait fulminer, ça le rendra zinzin! Un visionnaire? Quand il annonce l'avilissement de la culture en marchandise, faite d'hommes interchangeables, préoccupés par le confort et le profit, on rit moins. "Ne plus jamais rien écrire qui ne décourage l'espèces des hommes pressés", se promettait-il en 1886. Déjà?
Un bon lecteur, selon lui, précise Mona Ozouf qui est décidément un guide admirable, devait pouvoir découvrir non le système qu'il avait bâti mais celui qu'il avait évité: "... les recueils de pensées détachées font souvent naître le soupçon qu'on pourrait en inverser les sentences sans nuire beaucoup à la vérité, mais Nietzsche échappe au piège. Comme Pascal, il livre à la fois la sentence et son contraire, en équilibre dansant sur la quête de ses contradictions". De surcroît, il a tout prédit de nos désastres. Avec cela, une diversité de tons, d'humeurs, de styles, qui prouve qu'il est non seulement philologue mais pasticheur, parodiste, écrivain.
Quelques exemples en vrac, c'est ça le jeu:
"Le modeste. - Qui est modeste avec les gens n'en montre que mieux sa prétention quand il s'agit de causes (cité, Etat, société, époque, humanité). C'est sa vengeance" (1). On dirait du Paul Valéry (dans ses "Cahiers")!
"Impolitesse. - L'impolitesse est souvent l'indice d'une modestie maladroite qui perd la tête en cas de surprise et voudrait le cacher sous de la grossièreté" (2). On dirait (presque) du Stendhal!
"La satisfaction protège même d'un rhume. - Une femme qui se sait bien habillée a-t-elle jamais pris froid? - (et ce, même à peine vêtue?)" (3). On dirait du Oscar Wilde!
"Le chien paye la bienveillance de sa soumission. Le chat, dans les mêmes circonstances, jouit de soi, et il éprouve un voluptueux sentiment de puissance: il ne donne rien en retour" (4). On dirait du Buffon!
"La vérité est laide: nous avons l'art afin que la vérité ne nous tue pas' (5). On dirait du Cioran!
"L'art des artistes doit un jour disparaître, entièrement absorbé dans le besoin de fête des hommes: l'artiste retiré à l'écart et exposant ses oeuvres aura disparu: les artistes seront alors au premier rang de ceux qui inventent pour la joie et pour la fête" (6). On dirait du Jack Lang!
Moins un blasphémateur qu'un trublion au pas ivre et dansant. Moins un négateur qu'un moraliste, non? - d'ailleurs, Nietzsche admirait Chamfort. Cela dit, après Simone Weil, le "Zarathoustra" paraît tout de même assez kitsch.
(1) "Humain, trop humain" I, § 502. (2) Ibid., "Opinions et sentences mêlées", § 253. (3) "Le Crépuscule des idoles", "Maximes et traits, § 25. (4) "Fragment de juillet-août 1882", "Oeuvres philosophiques complètes", t. IX, p. 26. (5) "Fragment du printemps 1888", Ibid., t. XIV, p. 250. (6) "Fragment de l'hiver 1879-1880", Ibid., t. IV, p. 309.
"Cela dit, après Simone Weil, le "Zarathoustra" paraît tout de même assez kitsch."
disons que ça n'a pas la grâce et la légèreté d'hölderlin.
néanmoins, le lecteur averti qui voit ce que friedrich a trouvé à la fin du zarathoustra s'épargne la lecture du reste....en-dehors d'un pur divertissement, s'entend ...;-)
allez, à demain, it's dodo time now
Rédigé par : gmc | 30 janvier 2009 à 00:26
Aller!, j'avoue mon goût pour Nietzsche !
Le lire c'est comme la nécessité de la marche et de la dépense physique pour une bonne hygiène physique et mentale.Le lire devant l'océan, les pages ouvertes au souffle du vent, saisir les phrases volantes, en se disant tiens tiens c'est quoi la vie originaire, la vie authentique, la vie absolue...et si on écoutait un peu de Chopin !
Rédigé par : Anne B | 30 janvier 2009 à 09:49
Comme vous y allez ...
Nietzsche, en aparté, me fut à une époque, d'un grand secours. Heureusement. A travers lui, je m'en suis imposé. J'ai bien été obligée.
Le soleil revient. Vous avez vu ?
Ah je vous embrasse Friedrich !!
;o)
Rédigé par : Alistrid | 30 janvier 2009 à 10:50
Petit souci. Bon tout le monde s'en fout mais tant pis, je raconte ma vie. Je suis en congé de longue durée parce que mon boulot m'a rendue zinzin (prof), jusqu'à présent je me couchais vers minuit; mais pour me reconvertir et prouver que je peux retravailler dans un autre domaine, j'ai depuis peu une "activité thérapeutique" le matin, comme assistante documentaliste (c'est très intéressant d'ailleurs). Donc je devrais me coucher plus tôt. Mais je ne peux pas m'empêcher d'attendre minuit quinze pour me coucher, heure de parution du blog de FF (je sais ça se soigne, d'ailleurs j'ai deux psy). Ma question : serait-il possible de publier l'article plus tôt? Si ce n'est pas possible, je comprendrai.
Je m'étonne que de la terminale à mes deux khâgnes, je n'ai jamais entendu parler de Nietzsche, résultat , je le connais mal...
Il reste de la place à l'atelier d'écriture gratuit du 17EME :
http://paris.onvasortir.com/sortie_read.php?Id=132871
Rédigé par : ororea | 30 janvier 2009 à 11:45
FREDERIC SANS SA CHOPINE
Les hymnes déambulatoires
Des errances magnifiques
Ont toujours leur fan-club
Collections disparates
D'amateurs en tout genre
Que seule la zizanie
Unit dans un concerto
Post-déluge non essoré
Qui frôle un jour le néant
Pour se réfugier dans l'autre
Effrayé par l'immensité
Dont peut disposer le talent
Rédigé par : gmc | 30 janvier 2009 à 12:05
Cher Christophe Bohren,
Oui, c'est bizarre, il n'y a pas de dégoût ou de mépris du corps chez Simone Weil. Pas de fascination, même inversée. Pas d'extase pas d'esclandre, comme chez Bataille. Ce n'est ni sacré ni impur. Ce n'est pas ce à quoi elle s'oppose ni ce qu'elle nie. C'est rien.
Est-ce pourquoi elle n'a pas peur?
Il n'y a pas trace d'un combat, d'une tension, comme chez les auteurs "mystiques". L'esprit, la force d'âme, occupe tout le terrain. No match!
La grâce, "cette substance qui ne reçoit pas d'accident", dit le vieux Corneille. Le corps n'est même pas un "accident". Elle ne refuse rien, elle se détache, elle consent.
F.F.
Rédigé par : Frederic ferney | 30 janvier 2009 à 12:32
ça n'a rien de bizarre, ff, c'est plutôt lucide comme approche, lucide et pas encombré par la confusion et la grossièreté qui accordent crédit à n'importe quel mirage.
voyez-vous, ici dans la patrie de descartes (comme ailleurs, mais ici particulièrement), on se repose sur "je suis cette chose qui pense", mais bien peu se donnent la peine d'investiguer jusqu'au bout l'une ou l'autre de ces deux assertions qui ne sont en rien démontrées: "je suis ce corps" (ou "ce corps est mien", même chose) et "je pense".
allez jusqu'au bout de l'une des deux et vous pourrez le constater.
Rédigé par : gmc | 30 janvier 2009 à 13:00
INTERPOOL
Les enfants jouent
Au vertige des plaines
Sur des dauphins d'aluminium
Des chevaux aux étriers d'argent
Ou des dragons montés sur rollers
Comme il plait au talent
Des surfers innocents
Les enfants jouent
A être les fils
D'un vertige assassin
Qui brille loin des tréteaux
Où la couleur est reine
Des artifices de la poudre
A récurer les méninges
On tire à balles réelles
Des météores dans les mains
Le feu comme un rimmel
Qui charme les ruines
Et déconstruit les marées
Pour repeindre les cieux
En vélin et dentelles
Rédigé par : gmc | 30 janvier 2009 à 13:20