6 octobre
Lu: "Poétique du cinématographe", Notes, d'Eugène Green (Actes-Sud).
C'est un fanatique aimable, un petit Cyrano inflexible et sacré. On ne l'attend pas, Eugène Green. Il entre, par effraction. Il surgit comme un intrus, il disparaît, il revient. C'est un revenant. Ange, présage, messager. Une voix du temps de la Fronde. Eugène Green est l'auteur de quatre longs métrages dont: "Toutes les nuits" (Prix Louis-Delluc du premier film en 2001) et "La Religieuse portugaise" (2009). C'est un lecteur de Pascal, de Saint-Cyran, de Bossuet, vous voyez le genre. Il est également l'auteur d'un essai magistral, "La Parole baroque" (Desclée de Brouwer, 2001).
En 2002, il publia un CD où il lisait le "Sermon sur la mort" de Bossuet en essayant de ressusciter sans rire les cadences, l'emphase, le souffle de Bossuet, et la houle et le vent soudain du moment, et les plis que fait la soie dans la robe de l'orateur fulminant: "Me sera-t-il permis aujourd'hui d'ouvrir un tombeau devant la cour, et des yeux si délicats ne seront-ils point offensés par un objet si funèbre?..." Jamais sans doute le français n'a si bien sonné devant le néant qu'avec ce prédicateur hautain alternant la foudre et l'effroi. Qu'importe le fond de sa doctrine, ce qui prime, c'est le feu, l'ardeur, le style élevé au rang de paranoïa suprême.
Le nouvel essai d'Eugène Green est intitulé "Poétique du cinématographe". Son sujet: le verbe et la lumière ou, si vous préférez, la mystique et le cinéma qui ont pour vocation commune "la connaissance de ce qui est caché dans le visible". Les juifs interdisent la représentation, Platon la méprise. "Pour eux l'imitation est un blaphème, pour le philosophe grec, elle est dérisoire". Ce sont des puritains. Eloge de la parole, haine de l'image, on connaît la chanson. Mais aujourd'hui, nous dit Eugène Green, la parole est cachée, inaudible; ce qui rend la parole visible, c'est le cinéma. "Le cinéma, c'est la parole faite image".
Rien d'opaque dans la vision d'Eugène Green. Si son credo le rattache aux mystères, il parle d'évidence. Le mystique, au fond, voit la vérité face à face; il n'est pas séparé du réel par un discours, comme si Dieu lui-même avait cessé d'être là ou de lui manquer; il fait l'expérience de l'absolu, ici et maintenant, l'expérience lui suffit. Eugène Green a beau dire qu'aucune quête n'est possible sans la foi, sans la croyance en une nécessité, il pourrait aussi bien être athée et peut-être l'est-il. Le théologien Henri de Lubac ne parle-t-il pas d'un "mysticisme pur" qui est "la forme la plus profonde de l'athéisme"? Pour Eugène Green, il ne s'agit pas de croire, il s'agit seulement de vivre, de trembler, d'entendre.
A le lire, on fait provision de joyeux préceptes et d'axiomes. J'ai noté ceci (que ne désavouerait pas Pascal Quignard): "Le passé est un présent qui s'est perdu, le futur est un présent qui doit naître, et qui doit donc mourir. Seul le présent réel est éternel". Et aussi: "Une vraie oeuvre de cinématographe ne comporte pas de morale, car la vérité est toujours double et contradictoire". Et enfin: "Les vrais mystères ont la clarté aveuglante de midi".
L'ennui avec la croyance, c'est qu'elle porte en elle sa propre négation. A l'extrême, croire, c'est ne pas croire, non ? Et puis bof, croire, ne pas croire, "ça n'empêche pas d'exister", ça ne devrait pas. Mais c'est embarrassant, ces histoires-là. On peut passer sa vie à se demander s'il est bon de croire ou non. Au bout du compte là, ce sont les pissenlits qui finissent pas avoir la réponse. J'emmerde les pissenlits.
Non, le futur n'est pas un présent qui doit naître et doit mourir, c'est un présent qui va naître et qui va mourir. De toutes façons. Et je trouve que oui, le cinéma, c'est de la parole faite image, comme l'écrit est de l'image faite écrit. Ca aussi, c'est double et contradictoire. Mais ça va ensemble, tant mieux.
Rédigé par : Yasmine | 06 octobre 2009 à 14:31
Cela me fait penser aux Mystères qui étaient joués au Moyen Age
Rédigé par : K | 06 octobre 2009 à 19:35
...un ange, un présage, un message - un amoureux de la langue, de la poésie ; avec cette passion de mettre en lumière le mystère de l'invisible comme un corps s'ouvre à une voix.
Henri MATISSE a illustré les "Lettres d'une religieuse portugaise" de Marianna Alcaforado (1946) par un ensemble de motifs déclinés à partir de la représentation d'une grenade. La grenade, ce fruit évocateur de passion mystique & charnelle, érotique & spirituelle. (une exposition a été consacrée à ce travail au Musée Matisse - Nice, 7 juillet au 30 septembre 2007).
Matisse illustre la voix d'une âme abandonnée, cinq lettres limpides & brûlantes quand Green leur fait l'offrande de sa lumière (à voir, sortie 11 novembre 2009 - Océan Films - France).
Matisse écrivait*:
"Je vais en ce moment tous les matins faire ma prière, le crayon à la main devant un grenadier couvert de fleurs à leurs divers degrés et je guette leur transformation, en fait je le fais non avec un esprit scientifique mais pénétré d’admiration pour l’œuvre divine. N’est-ce pas une façon de prier ? et je fais en sorte ( au fond je ne fais rien moi même car c’est Dieu qui conduit ma main) de rendre évident pour d’autres la tendresse de mon cœur.
(* lettre à Sœur Jacques Marie, Vence 20 Juin 1945 in Sœur Jacques Marie- Henri Matisse. La Chapelle de Vence. correspondance Grégoire Gardette éditions Nice . 1992)
Dans ce Musée à Nice il y avait un livre qui avait trouvé sa place et dont je connaissais des passages par coeur... "Le temps est un infini présent, un pic de clarté entre deux versants découpés dans la gouache : l'attente & la mémoire. Ces deux bestioles dans ma tête s'en sont allées. Je suis là, c'est tout". (Le Dernier amour de Monsieur M.)
Rédigé par : DaDa | 06 octobre 2009 à 23:34
Wééééééééééééééé, un texte de FF! Et bientôt (scoop) une émission sur Pascal Quignard!
C'est dur de rédiger des critiques, merci pour l'effort. Et puis c'est sûr qu'il ne faut pas faire que ça : pour entretenir ce corps de rêve, il est nécessaire aussi de pratiquer le tennis, le golf,le ski, la balnéo, tout ça et un check up de temps en temps pour rassurer la famille ;-)... Nous sommes en mesure de vous révéler la véritable identité de FF :
http://www.hollywoodstandups.com/images/clarkKent.jpg
Rédigé par : ororea | 07 octobre 2009 à 00:49
Je lis votre "poétique" billet comme un suite bienvenue de l'émission "Les nouveaux chemins de la connaissance entendu ce matin sur le thème de "la vue".
"la connaissance de ce qui est caché dans le visible".
A réécouter le texte de Merleau-Ponty extrait de L'oeil et l'Esprit, lu par une lectrice hors pair dans Les nouveaux chemins... sur France Culture.
Rédigé par : Ambre | 08 octobre 2009 à 13:48
comme "unE" suite... entenduE (écoutée serait d'ailleurs plus approprié)
Rédigé par : Ambre | 08 octobre 2009 à 13:50
Je rentre d'un cours de trois heures de bureautique et je suis en train de chatter avec un ami qui regarde Busnel consterné (moi ma tv est cassée, je vais peut-être m'acheter celle là :
http://www.laredoute.fr/vente-combine-tv-dvd-154--(39-cm).aspx?productid=324149555&documentid=201209&categoryid=0&prodcolor=1&prodtype=1 )
Bref, voici ce que me dit mon ami : "Busnel à NY, cuisinant Philip Roth dans une pièce mais il y a des séquences d'autres interviews, on fait du zapping interne. Jadis pivot cuisinait un écrivain pendant deux heures sans affèteries, maintenant il faut des artifices, il y a des inserts, des cadrages qui sursautent, des trucs et des machins." Je n'ai pas vu l'émission en question, mais a priori, je suis d'accord avec mon ami...
Rédigé par : ororea | 08 octobre 2009 à 21:15
Ororea, je redoutais mais...
vous n'en ratez pas une !
:-)
Alistrid
Rédigé par : alistrid | 08 octobre 2009 à 22:13
Quoi, qu'est ce que j'ai encore fait? Bah moi je suis pour que l'entreprise de FF réussisse, donc s'il faut s'adapter au public qui veut de l'action et du trépidant (je crois qu'il y a beaucoup de garçons sur le net), je suis pour. Du moment qu'on pense aussi aux disciples de Talleyrand qui disait à son valet :" hâte toi lentement."
Rédigé par : ororea | 08 octobre 2009 à 22:42
Eugène Green est un artiste intelligent, cultivé et exigeant. Dérangeant, sans doute...
"On ne l'attend pas", peut-être parce qu'il capte une énergie intérieure toute particulière, il donne à voir un "niveau" de réalité qui aurait pu "nous" échapper.
Depuis sa résurrection dans les années 70, il est rare de ne pas avoir entendu parler de musique baroque mais qu'en est-il du théâtre de la même époque ?
Le dire et la déclamation, le faire et la gestuelle ?
"La parole Baroque" remonte le temps, nous parle des hommes qui auraient été unanimement déchirés entre l'idée d'un Dieu "caché" et celle d'un monde que la science a désenchanté. Le verbe serait ainsi vain, négligé, incapable de dire le monde ?
E. Green dépoussière les croyances communes à l'égard de certaines formes académiques de la poétique théâtrale contemporaine. "Les vrais mystères ont la clarté aveuglante de midi".....certainement !
Rédigé par : Anne b | 09 octobre 2009 à 12:55
Les quelques lithographies de Matisse représentant Marianna Alcoforado sont tracées avec les lignes du bonheur, ce qui ressemble à Matisse, mais qui ne reflète pas (pour moi) l'image de la religieuse des "Lettres Portugaise", Modigliani, a lui aussi illustré ces lettres, c'est aussi étrange,aussi singulier, comme ce livre-passion, parfois "violent", qui semble proche et si éloigné à la fois du tracé de ces deux géants de l'Art.
Rédigé par : Anne b | 09 octobre 2009 à 13:07