Audeguy sans fleurs ni couronne

26 janvier

En même temps qu'il publie son troisième roman, Nous Autres", Stéphane Audeguy fait paraître un petit recueil d'anecdotes, "parfois terribles, parfois cocasses, toujours singulières", et qui toutes concernent la mort de personnages, célèbres ou obscurs: "In Memoriam" (Le Promeneur). En préambule, Audeguy cite Chamfort rapportant ce mot merveilleux d'une demoiselle de douze ans: "Pourquoi cette phrase: apprendre à mourir? Je vois qu'on y réussit très bien la première fois".

Pourtant, il y a un savoir-mourir comme il y a un savoir-vivre; c'est affaire d'allure, de maintien, de provocation, de courage ou de bravade plutôt que de sagesse. Il y a des morts aristocratiques et des morts bourgeoises, certaines paisibles et douces, d'autres abjectes, absurdes ou brutales. J'aime ce qu'en dit Montaigne, si cool sur ce chapitre, la mort n'est rien mais ce rien, nous l'attendons ou il nous attend, ce n'est donc pas tout à fait rien: "Je veux qu'on agisse et qu'on allonge les offices de la vie tant qu'on peut; et que la mort me trouve plantant mes choux, mais nonchalant d'elle, et encore plus de mon jardin imparfait" '"Essais", 1, 20).

Pour les philosophes, quand ils sont stoïciens, mourir est un acte sans sujet, à peine un événement: une feuille qui vole, une pierre qui tombe, un rond dans l'eau. Une petite blessure d'amour-propre. "Le corps lâche son âme comme un pet, voilà ce qu'il faut dire, et le pet seul, à l'avance, se rebiffe. Qu'as-tu, mon corps, à te soucier de tes vents?", écrit André Comte-Sponville ("Dictionnaire philosophique", "Mourir", p. 394). Mais pour les autres? Les imaginatifs, les écrivains, les artistes, laissent rarement passer cette occasion ultime de se taire et de poser encore une fois pour la galerie. Au vrai, ce sont le plus souvent ceux qui restent, leurs élèves, leurs amis, leurs proches, qui forgent la phrase ou le geste testamentaire qui donnera à penser.  

Encore un livre de chevet - pour une ou deux nuits, pas plus - écrit comme un traité de morale. Diderot mourut en mangeant des cerises en compote, James Cook l'explorateur fut percé par les lances des cannibales de l'île d'Hawaï, Youri Gagarine trépassa dans un accident d'avion, près de Moscou, après treize minutes de vol. Tennesse Williams mourut étouffé en arrachant la capsule d'un tube de comprimés avec les dents, la comédienne Adrienne Lecouvreur en respirant un bouquet de violettes empoisonné par une rivale; Thalès, qui pensait que l'eau était le principe de toute chose, mourut de déshydratation en assistant à une rencontre sportive. Le nain Nicolas Ferry, après avoir amusé la cour du roi Stanislas à Lunéville, mourut de vieillesse en 1764, à l'âge de 23 ans. Le chanteur Marvin Gaye fut assassiné de plusieurs balles un 1er avril par un pasteur de l'église pentecôtiste qui désapprouvait son mode de vie: c'était son papa.

Quelques incidents post-mortem. Jean-Henri Fabre, entomologiste: "Pendant la cérémonie de son enterrement, on remarqua sur son cercueil un escargot et quelques sauterelles; au bord de sa tombe, un prego diou s'était posé". Atahualpa, empereur inca: "En 1533, les Espagnols décident de le brûler. On le convainc d'embrasser la vraie foi pour échapper aux flammes. Il accepte, on le baptise Francesco, on l'étrangle". Gustave Flaubert, écrivain: "Les fossoyeurs avaient creusé une fosse de taille normale: le cercueil de Flaubert n'y entrait pas car il était trop long; et même, hélas, il se coinça. Le cortège se dispersa sans qu'on ait pu procéder à l'inhumation". Richard Wagner: "Parmi les porteurs de son cercueil, on comptait deux Juifs, ainsi que le relève un de ses biographes".

C'est le livre le plus léger et le plus gai que j'ai lu depuis longtemps.

Comments

[Rédigé par : gmc]

mahmoud darwish a écrit ce texte, auquel je vous joins une traduction en français:

And They Don't Ask: What Comes After Death

Mahmoud Darwish

And they don't ask: What comes after death?
Though more intimate with the book of Paradise
than with accounts of the earth, they're preoccupied
with another question: What shall we do
before this death? Near to life, we live
and we don't – as if life were parceled out
from a desert where the haggling gods of property
settle their disputes.
We live beside an ancient dust.
Our lives burden the historian's night:
"Though I make them disappear, they come back to me
from absence."
Our lives burden the artist:
"I draw them and become one of them, veiled in mist."
Our lives burden the General:
"How can a ghost still bleed?"
We shall be what we want to be. And we want
a bit of life, not for just anything - but to honor
the resurrection after our death.
Unintentionally, they speak the philosopher's words:
"Death means nothing to us: if we are then he isn't.
Death means nothing to us: if he is then we are not."
And they have rearranged their dreams
and sleep standing.

Et ils ne demandent pas: que vient-il après la mort?
Bien que plus intimes avec le livre du Paradis qu'avec les comptes de la terre, ils sont préoccupés par une autre question: que devons-nous faire avant cette mort?
Proches de la vie, nous vivons et nous ne vivons pas - comme si la vie avait été découpée en parcelles d'un désert où les dieux marchandeurs de la propriété plantent leurs disputes.
Nous vivons près d'une ancienne poussière.
Nos vies encombrent la nuit de l'historien:
"Bien que je les ai fait disparaître, ils reviennent à moi de l'absence."
Nos vies encombrent l'artiste:
"Je les dessine et deviens l'un d'entre eux, voilé de brume."
Nos vies encombrent le général:
" Comment un fantôme peut-il encore saigner?"
Nous devons être ce que nous voulons être. Et nous voulons un peu de vie, pas juste pour rien - mais pour honorer la résurrection venue après notre mort.
Inintentionnellement, ils disent les mots du philosophe:
"La mort ne signifie rien pour nous: si nous sommes, lui n'est pas.
La mort ne signifie rien pour nous: s'il est, donc nous ne sommes pas."
Et ils ont reconfiguré leurs rêves et continué de dormir debout.

ça rappelle un dialecticien de génie qui disait "avez-vous dévoilé le commencement pour que vous cherchiez la fin? car là où est le commencement, là sera la fin."

[Rédigé par : Alistrid]

Debout les Morts !
WAOUUU !!

http://fr.youtube.com/watch?v=VQ3d3KigPQM

[Rédigé par : Frederic ferney]

Merci, gmc, pour ce poème de Mahmoud Darwish qui suffirait à éclairer ma journée.
F.F.

[Rédigé par : Dominique]

Un auteur placé sous le génie tutélaire de Montaigne est nécessairement bon à lire

[Rédigé par : Anne B]

Jusqu'à l'accomplissement final, certains aiment encore l'imprévu et les voyages...

P.S C'est bien "Nous Autres" ? (J'ai aimé "La Théorie des Nuages").

[Rédigé par : Franck-Olivier Laferrère]

Un plaisir de découvrir il y a peu que vous étiez désormais installé ici...
Je dois avoir à mon insu l'âme d'une jeune fille de douze ans... :-)

[Rédigé par : Christophe Borhen]

Je rejoins Anne B. ; " La Théorie des Nuages " est un fabuleux roman.

[Rédigé par : Christophe Borhen]

Je rejoins Anne B. ; " La Théorie des Nuages " est un fabuleux roman.